Prologue

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Le ciel nocturne était clair et dégagé au-dessus de la ville endormie. La voute céleste étincelait de ses mille diamants, reflétant leur doux éclat glacé sur la neige fraîchement tombée. L'on pouvait voir là la froide et terrible beauté des nuits hivernales. Ici ne régnaient plus les couleurs, les sensations de chaleur avaient disparu de ces rues, la vie elle-même semblait s'être évanouie. Silence attendait en ces lieux, perdu et mélancolique, seulement perturbé par le murmure de la neige lorsque le rude vent du nord la déplaçait ou des tristes grincements des vieilles lanternes abandonnées.

Une jeune femme encapuchonnée émergea de l'ombre des bâtisses. Elle avançait péniblement, manquant de glisser sur les pavés verglacés. Ses bras frêles serraient délicatement un petit fardeau contre sa poitrine, cherchant vainement à le protéger de la morsure du vent. À découvert, celui-ci sembla les prendre pour cible, hurlant férocement en soulevant la neige devant elle. Imperturbable, elle poursuivit sa route, le dos courbé et la tête basse cet ennemi glacé. Son enfant remua, un gémissement franchit ses lèvres alors que le froid s'infiltrait dans ses couvertures. Au même moment, un croassement marqua l'envol d'un corbeau. Il passa sous le clair de lune, glissant son ombre menaçante sur la vagabonde, traçant des cercles au-dessus d'elle. Encore une fois, il crailla.

À ce signal, Elerina leva les yeux. Dans ce monde en noir et blanc, son regard vert et brillant semblait contenir toute la beauté du printemps dans un visage pâle rongé par le tourment. Machinalement, son pas se fit plus pressant. Plusieurs bruissements vinrent s'ajouter aux battements d'ailes de l'oiseau. Un frisson parcourra l'échine de la vagabonde lorsqu'elle vit trois silhouettes se détacher du sombre décor.

Le premier homme se plaça devant elle, l'arme au clair. Un rictus mauvais étirait les traits grossiers de sa face balafrée. Ses deux compagnons se disposèrent de part et d'autre de la jeune femme, seul le plus petit avait lui aussi dégainé sa dague.

- Tu ne peux plus fuir femme, rend nous l'enfant et ta vie sera sauve.

- Vous pouvez tous aller au diable !

- Soit raisonnable, personne ne viendra t'aider cette fois.

- Je n'ai besoin de l'aide de personne pour chasser des rats tels que vous, rétorqua la vagabonde en crachant à ses pieds.

Les trois hommes restèrent interdits un instant, puis les rires sinistres s'élevèrent dans l'air glacé. Seul celui qui avait parlé demeurait stoïque, son regard fixé dans celui de celle qu'il pourchassait depuis deux mois. Deux mois de traque intensive où elle avait déjoué chacun de leurs pièges et même tué plusieurs de leurs frères d'armes. Ils avaient sous-estimé cette jeune vagabonde, et celle-ci leur avait fait payer cet affront par le sang. Pour cela, elle avait tout son respect.

- Ne prend pas tes rêves pour la réalité gamine, ricana le plus petit du trio. Tu as peut-être réussi à t'en sortir jusqu'à présent, mais la chance n'est plus avec toi. Alors, donne-nous ce mioche !

À peine avait-il fini sa phrase qu'il se précipita sur Elerina. Elle le regarda sans bouger, resserrant d'un bras sa prise sur son fardeau. D'un geste vif, sa main libre s'élança hors de sa cape; l'homme s'immobilisa, le visage figé de stupeur, ses doigts tâtonnants son cou d'où dépassait un petit objet reflétant le clair de lune. Il chercha à parler, mais il ne fit que s'étouffer dans son propre sang. Ses jambes cédèrent sous son poids, le moribond finit par tomber face contre terre, agonisant encore quelques instants dans des gargouillements funestes. La neige devint écarlate, et le combat débuta.

Le Balafré fonça en hurlant sur sa proie; ivre de colère il n'entendit pas l'ordre de son supérieur. Il n'était pas un homme de finesse, seule sa grande force physique l'aidait à vaincre ses adversaires. Ses attaques étaient sauvages et dénuées de toutes formes d'intelligence. Elerina évitait chacun des assauts avec la grâce d'une danseuse, comparant mentalement son ennemi à un ours enragé à qui on aurait donné une épée. Sa garde pratiquement inexistante aurait permis à n'importe quel idiot le loisir de le tuer. Aussi attendait-elle le moment propice, jonglant entre esquive et parade. En d'autres circonstances, la vagabonde en aurait déjà terminé avec ce barbare, mais elle ne pouvait pas risquer qu'un coup malheureux passe sa propre défense et touche son enfant. La fatigue ne tarda pas à venir s'insinuer dans le corps du géant où l'agacement augmentait sa rage. Comment cette sorcière osait-elle le ridiculiser de la sorte en refusant de mourir ?! Elle ne semblait même pas essoufflée alors que lui ronflait comme une forge.. Il ne supportait pas de se faire ainsi humilier! De son unique oeil valide, il chercha le soutien de son compagnon, mais celui-ci se contentait d'observer la scène. Le visage impénétrable, son regard calculateur ne croisa même pas celui du géant balafré, trop absorber par sa contemplation de la "danse" d'Elerina. C'en était trop.

FeljongïrOù les histoires vivent. Découvrez maintenant