Feljongïr

Chapitre 1

Sa fine épée s'abattait avec rage sur un mannequin composé de cuir et de bois. Les deux tranchants de la lame souffraient de la violence des coups, s'ébréchant par endroit. Son corps souple et agile se mouvait dans une danse mortelle, laissant son instructeur figé tant il était troublé. Souvent, il avait vu sa jeune élève décharger sa colère sur ces pauvres cibles, parfois même sur ses frères d'armes, mais aujourd'hui c'était différent. Chacun de ses gestes était d'une précision terrifiante. Sa férocité presque palpable accentuait l'intensité de la scène. Un dernier coup d'une brutalité sauvage eut raison du pantin. Il s'effondra dans un grand fracas sous le regard assassin de la jeune femme. Puis, dans un vacarme de métal, Faith jeta son arme loin d'elle comme si celle-ci lui avait soudain brûlé les doigts.

L'épuisement se lisait sur son visage, néanmoins elle n'avait rien à voir avec de la fatigue physique. La guerrière alla s'appuyer au mur le plus proche, et se laissa glisser au sol. Sa main passa nerveusement dans sa chevelure ébène, ses iris d'émeraude et de saphir fixant un point perdu dans les tapisseries. Le vieux maître d'armes rempli une tasse d'eau et rejoignit son élève, se préparant à recevoir ses foudres.

- Tiens ma p'tite. Qu'est-ce qui te met de si mauvaise humeur cette fois ?

Elle prit le récipient et but machinalement sans faire attention à lui. Il pouvait presque voir le combat intérieur qu'elle menait pour recouvrer son calme. À son tour, il se laissa glisser au sol, à côté de la jeune femme, et attendit patiemment qu'elle prenne la parole. Faith observa les dessins du tissu face à elle ; une simple représentation des affrontements entre deux nations antique placée sous le symbole de Feljongïr. Les branches de l'arbre renversé venaient narguer le champ de bataille, laissant ses feuilles écarlates recouvrir entièrement les corps des vaincus. Les trois yeux le long du tronc la mettaient mal à l'aise ; ils semblaient sonder les tréfonds de son âme, à la recherche de la moindre faille, de la moindre part de noirceur. Un frisson lui parcourra l'échine. Ce symbole, elle le haïssait.

- Le Conseil n'a pas respecté sa promesse, lâcha-t-elle dans un souffle. Ils repoussent une nouvelle fois ma sortie, cette fois ils n'ont même pas pris la peine de masquer leur agacement..

Sans attendre de réaction de la part de son mentor, la jeune femme se releva d'un bond. D'un pas rageur, elle rejoignit son épée qu'elle ramassa, le regard scintillant, et se mit en garde face au vieil homme. Celui-ci prit position à son tour dans un soupir, dégainant prestement son sabre en la toisant froidement. Les deux combattants se tournèrent autour un moment, jaugeant l'autre dans l'attente d'une ouverture. Agacé de ce jeu, il chargea son élève de la même manière que s'il avait attaqué un véritable ennemi. Faith réussit à parer chacun de ses coups avec une étonnante facilité ; ses traits fins trahissaient son ennui, le poussant à augmenter la force de ses assauts. L'homme n'avait pas pour habitude de se battre en gentleman, il voulut tout d'abord ménager son élève, mais sa patience s'épuisa comme neige au soleil quand un léger sourire naquit sur ses lèvres.

Redoublant d'efforts, il focalisa ses attaques là où les défenses de son adversaire sont les plus faibles ; le tranchant de la lame déchira sa tunique, dévoilant une pâle cicatrice. Un instant, il crut voir la panique traverser le visage de Faith, mais il n'eut pas le temps d'en être sûr qu'elle riposta. Enchaînant les estocades et les feintes, la guerrière forçait la garde de son maître ; son épée caressant plusieurs fois ses chairs. Les coups pleuvaient de toutes parts, si bien qu'il fut contraint de reculer alors que l'acier frôla sa joue. Épuisé, il perdit l'équilibre en repoussant un énième assaut meurtrier, ce que la jeune femme remarqua immédiatement. Elle projeta son bras armé dans cette nouvelle ouverture, prête à en finir. Il se propulsa au sol en une roulade pour esquiver, mais il ne fut pas assez rapide.