La maison de l'inconnue était, à l'extérieur, tristement simple. Je me demandais toujours comment autant de lierre avait pu recouvrir des parois en bois. Pourtant, quand la gentille femme ouvrit la porte, je fus surprise en voyant la décoration singulière de cette demeure.
Plusieurs oiseaux -visiblement mécaniques- virevoltaient dans une cage, avec une fluidité trompeuse. À cette cage étaient attachées d'adorables fleurs faîtes en laine, et en regardant le reste de la décoration, je compris que son entièreté était faite à la main. D'autres automates à l'allure animale étaient disposés sur une table basse, éteints, et une agréable senteur m'étant jusque là inconnue enveloppait la pièce. Une vieille femme, que je présumais être la mère de notre bienfaitrice, tricotait paisiblement au centre de la pièce.
_Ingrid, tu en as mit du temps, dit faiblement la vieille.
_Désolée, j'ai un peu traîné. Je vais poser le seau d'eau dans la cuisine.
Ingrid nous abandonna l'espace d'un instant, et sa mère restait silencieuse. Comment se faisait-il que notre hôte ne posait aucune question sur notre présence? Pour la tester, je fis signe à Annie d'aller fermer la porte qu'Ingrid avait négligé, et la vieille haussa un sourcil.
_Des talons hauts? Ingrid, on en a déjà discuté!
L'intéressée revint de la cuisine et posa sa main sur l'épaule de sa mère.
_Je ne suis pas seule, maman. Il y a deux jeunes femmes avec moi.
_Tu mens. Deux jeunes femmes, j'aurai senti leur aura! Mes sens sont peut-être moins aiguisés qu'avant, mais je t'assure que-
_Des humaines, maman. Leur aura est trop faible pour que tu la détectes.
_Pardonnez-moi de ne pas m'être annoncée, dis-je, les interrompant. Je m'appelle Margarita, et moi et ma sœur sommes perdues...
Annie murmura une salutation, et notre hôte se gratta le menton, pensive.
_Ma fille ne vous a donc pas expliqué que nous sommes au centre de la forêt de Thornfrost?
_Je leur ai expliqué, mais elles disent venir d'"Angleterre". Je me disais qu'avec ton expérience de voyage...
_Les seuls endroits où je n'ai jamais mit les pieds, ce sont certaines régions de Prinest. C'est peut-être là bas que leur Angleterre se situe.
Comme à la première mention de Prinest, je vis le visage d'Ingrid se raidir. Cette dernière se racla la gorge.
_Elles n'ont pas l'air d'être ce genre de personnes, maman.
_Margarita, c'est bien cela? Donne moi ta main.
Ingrid s'éloigna en baissant les yeux. Approchant doucement, je mit ma main dans celle de la vieille dame qui sembla me sonder. Ses yeux étaient fermés -et, il me semble, invalides-, mais même sans voir son regard, il me pesait. Ses oreilles étaient cachées sous un turban...
_Tes mains sont froides. Tu as touché de la neige, ou quoi?
_Euh, oui. D'où je viens, la forêt est enneigée, alors je ne m'attendais pas à trouver un endroit aussi vernal.
J'entends la respiration d'Ingrid se couper soudainement, et la main de sa mère se crispa autour de la mienne.
_Je te l'avais dit, Ingrid, cracha-t-elle. Ces sorcières t'ont bernée.
Avant que je ne puisse demander une clarification, la porte s'ouvrit avec une brutalité alarmante, et je me retournais en panique. Une dizaine d'êtres pâles, maigres et blonds, similaires à Ingrid, se tenaient devant la maison, fourches à la main.
Un brouhaha m'empêchait de distinguer leurs mots, mais mes yeux ne me trompaient pas: tous, sans exceptions, avaient des oreilles pointues comme des dagues. C'était ça que les deux femmes cachaient! C'est donc un cauchemar. Comment ai-je pu m'endormir, avec des loups me pourchassant? Ou bien ces villageois, avec leurs fourches et leurs oreilles aiguisées, seraient-ils aussi des loups? La vieille lâcha ma main et cria.
_Jetez les sorcières dans la grande fosse! Nous les brûlerons demain!
_Dans la grande fosse! paraphrasa un membre de la foule, entraînant les cris des autres.
Il n'y avait qu'une seule solution: la fuite. J'attrapais Anastasie qui, sous le choc, n'avait pas eu le réflex de bouger. Les monstres brandissaient leurs outils vers nous, mais appart quelques lambeaux de robes arrachés, je pus m'en dégager sans dégâts. Je vis certains habitants sortir de leurs maisons pour tenter de nous atteindre à leur tour. Soudain, je sentis la main d'Annie se détacher de la mienne.
_Annie! Qu'est-ce qui se passe!?
Le rire gras d'un homme tenant une faucille se fit entendre derrière ma sœur. Le scélérat avait dû profiter de sa maladresse pour la faire tomber! Je savais que j'aurais dû lui dire de ne pas porter ces talons hauts... Avant que je ne puisse réagir, l'homme posa son pied sur Annie et se pencha pour caler sa faucille contre sa nuque.
_Si tu fuis, je lui trancherai la gorge, sorcière!
Je ne réalisais pas la situation, jusqu'à ce qu'Annie lève les yeux et plonge son regard dans le mien. Pour la première fois en cinq ans, je vis une étincelle dans ses yeux éteints. Une étincelle de terreur.
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MARGARITA - Le château de l'archiduchesse
AventuraEn Angleterre, l'hiver dure depuis cinq ans. Cette interminable saison plonge les habitants dans une profonde dépression. Parmi eux se trouvent trois filles de baron, dont l'une s'enfuit loin de sa ville, espérant trouver le printemps. En allant la...