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« Toute rencontre est un risque ; à la première minute, aux premiers mots échangés, l'histoire, déjà, est en marche. »

Raphaële Billetdoux


Axel est mort cinq jours avant la rentrée de septembre.

Ça a fait grand bruit dans la petite ville où nous habitions. Je peux comprendre. Mourir à vingt-trois ans, à peine au début de sa vie d'adulte, ce n'est pas quelque chose qu'on souhaiterait à tout le monde.

Je ne sais pas vraiment ce que j'ai ressenti ce jour-là parce qu'à vrai dire, je ne connaissais pas ce type. Je ne le connaissais que de vue et je n'avais dû lui adresser la parole qu'une ou deux fois. En fait, il représentait tout ce que je détestais chez une personne : il était beau, riche et brillant, promis à un avenir parfait. Il était chéri et adulé par tout le monde. Mais apparemment, la mort ne devait pas prendre tous ces détails en considération parce qu'elle n'a pas hésité à l'embrasser alors qu'il traversait une rue.

C'est un chauffard ivre qui l'a renversé. Il a pris la fuite et la police n'a jamais réussi à le retrouver. Un fuyard qui n'a jamais eu le courage d'avouer et d'expier son crime. Le corps n'avait pas souffert de la collision. Il était mort sur le coup.

Un jour, j'ai entendu dire que le pire qui pouvait arriver à quelqu'un, c'était de perdre son enfant. Je n'ai compris le sens de cette phrase que le matin de son enterrement.

Dans l'église lugubre et pleine à craquer de monde, sa mère et son père, tous deux impeccables dans leurs costumes de deuil noirs et élégants, pleuraient à chaudes larmes le départ de leur fils unique bien aimé. Ils tremblaient et rien ne semblait pouvoir les consoler. Je me souviens avoir ressenti de la pitié et une vague de compassion pour ce couple. Ils venaient de perdre leur raison de vivre... Et moi, serrant avec force la main de ma mère, je savais la chance que j'avais de pouvoir sentir la chaleur de sa paume contre la mienne.


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Axel est mort cinq jours après l'invention d'une nouvelle machine appelée l'Hologramme. C'était une énorme caisse argentée, ressemblant trait pour trait à un photomaton. Sauf qu'on n'y entrait pas pour prendre des photos, mais pour communiquer avec une personne décédée. Je vous rassure, rien à voir avec la communication avec les morts et l'au-delà. C'était plus subtil. Une histoire d'ADN, de prélèvement sanguin et de quelques cellules appartenant au défunt. Avec ça, les chercheurs pouvaient recréer exactement la même personne, avec ses souvenirs et ses sentiments. C'était comme si on parlait virtuellement avec elle.

Franchement, toutes ces histoires d'innovation, je n'y croyais qu'à moitié. Jusqu'à ce que je vois l'Hologramme dans un coin de l'église. Maman m'a jeté un regard lourd de sous-entendus, m'interdisant silencieusement de faire le moindre commentaire. Elle me connait par cœur et elle désapprouve mon honnêteté et ma curiosité mal placées.

Après la messe, les gens ont commencé à faire la queue pour pouvoir rentrer tour à tour dans l'Hologramme. Je les soupçonnais d'être seulement venus pour avoir la chance d'être les premiers à tester la nouveauté de l'année. Je me souviens avoir plutôt entraîné ma mère vers la sortie, ne prenant pas en compte ses grands yeux verts emplis de curiosité et d'envie.

Voir et parler avec un mort ? Non merci, je passais mon tour. Encore plus quand il s'agissait d'une personne que je ne connaissais pas (et que je détestais sans aucune raison particulière).

Je n'avais parlé à Axel qu'une seule fois avant son décès. C'était lorsque nous étions en première année à la fac. Il était en droit et j'étais rentrée en sciences appliquées. Ce jour-là, nous avions tous les deux failli manquer notre bus. Il pleuvait à verse et j'étais trempée jusqu'aux os, mes cheveux frisés et bruns dégoulinaient sur mes tempes et ma nuque. Mon mascara avait coulé le long de mes joues tachant ces dernières de trainées obscures.

Deus In Machina | TerminéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant