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L'air est humide. Iris m'emmène dans le sinistre couloir de la veille. Nous laissons la voiture au milieu du parking, la portière ouverte. Nos pas craquent dans l'escalier. La tension monte. Le silence nous entoure. Je fais un mouvement de recul. Personne. Le corps s'est bien volatilisé. Le tapis est toujours là, et même le sang qui l'imprégnait a disparu. Je n'arrive pas à y croire. 

Nous redescendons. Je la regarde. Elle ne dit rien. J'ai l'impression d'étouffer, d'être à l'étroit dans ce lieu trop exigu. Quelqu'un a déplacé le pauvre homme. Mon rythme cardiaque s'accélère. Nous ne sommes pas en sécurité. Ma respiration s'emballe. Ma tête tourne. Quelqu'un nous observe en silence, tapis dans le noir. Je prends sa main. 

— Allez viens, on se barre d'ici. 

Iris hésite un instant, puis me suit dans ma course effrénée vers la voiture. Je manque de tomber sur le parking glacé, mais sa main me rattrape au dernier moment. Les portières claquent. Je ne prends pas le temps d'ajuster les rétroviseurs. Je mets le contact, desserre le frein à main et démarre au quart de tour. Peu à peu, le motel s'éloigne derrière nous. Il fait frais, par ce doux matin d'hiver.


***


Iris n'a pas quitté des yeux la route pendant tout le trajet. Le soleil était haut dans le ciel lorsque nous sommes partis. A présent, il borde l'horizon et menace de m'aveugler à chaque instant. La route est monotone, et la montagne a doucement laissé place à la forêt. Les lignes blanches qui séparent la route défilent à l'infini. Nous sommes maintenant piégés par l'ombre des arbres qui nous entourent.  Le ciel, vide, se teinte succinctement de jaune, de rose puis de violet. Enfin, dans un bleu foncé pratiquement noir, le soleil disparaît de l'autre côté du monde.    

Iris parle pour la première fois depuis qu'on a quitté le motel. 

— Arrête-toi. 

Mon sourcil se lève. Nous sommes au beau milieu de nulle part, et la route ne m'est visible que par les phares de la voiture.  

— Ici ?

— Oui, s'il te plaît. 

Je fixe le rétroviseur, à la recherche d'un quelconque véhicule qui nous suivrait. Elle regarde à son tour dans le rétroviseur, et fronce les sourcils.

— T'es paranoïaque.  

Sa remarque est sèche, cinglante. Je continue de rouler. 

— Non, je ne le suis pas. 

— Arrête-toi, Axel. Je ne me répéterai pas. 

Elle me regarde enfin. Mais c'est trop tard maintenant. 

— Non. 

Ma voix se brise. Je repense à nos silences, à nos non-dits. Le faux sourire que nous affichions devant nos enfants. Toute la vaisselle qui avait fini par se briser sur le sol. Nos mains ensanglantées qui tremblaient. La haine qui nous agitait quand nous faisions l'amour. Les larmes, chaque jour. Je garde la tête haute. 

Mais d'un mouvement brusque, Iris s'empare du volant, et cherche à m'empêcher de continuer ma route. La voiture passe sur une plaque de verglas. Nous perdons le contrôle. Le volant m'échappe des mains. Mon corps est projeté contre la vitre, qui se brise en mille morceaux. Mes yeux se ferment, je perds connaissance. Le véhicule fonce à toute vitesse contre un arbre. L'airbag se déclenche, ma tête est projetée avec violence contre le siège. J'entends ma colonne vertébrale craquer.  Il neige à nouveau.

Dans un dernier effort, je cherche Iris du regard. Je veux lui dire à quel point elle compte pour moi. J'ai beau regarder, je ne la vois pas. Et soudain, je me souviens. Toute la rage explose en moi. La douleur du verre qui transperce ma peau est insoutenable. Une dispute qui était allée trop loin. Les questions du policier. Les ragots du voisinage. Les pleurs des enfants à son enterrement. Iris était morte, il y a trois ans de cela, et je suis seul depuis le début. Ses étreintes me paraissent si lointaines maintenant. Son visage fatigué s'efface petit à petit sous mes yeux. Je n'arrive pas à me souvenir du cadavre que nous avons trouvé dans le motel. Le tapis n'a jamais été tâché de sang. Je n'ai jamais dormi sur ses genoux, mais j'étais à même le sol, et définitivement seul. Mon regard s'immobilise. Un peu de sang coule sur ma joue, et efface les dernières larmes qui s'y trouvaient. 

NEIGE ÉCARLATEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant