ô, Mère patrie

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Ahmed était gentil, drôle et charismatique

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Ahmed était gentil,
drôle et charismatique. c'était un jeune homme très respectueux et bien élevé – la fierté de ses parents. au lycée, Ahmed était cet élève aux bons résultats, mais loin d'avoir la tête dans les livres, ou à discuter à longueur de journée d'algèbres et de devoirs maison. à vrai dire, on le trouvait drôle. il amusait la galerie sans empiéter sur le calme des cours. mais lorsqu'Ahmed retournait chez lui, dans un petit quartier paisible au carrefour de sa ville, et qu'il lisait les journaux ou écoutait la radio, il n'était plus le joyeux adolescent que ses amis connaissaient. son cœur se gonflait de rage, ses veines se coloraient d'une haine inexplicable, et son pouls se mettait à pulser pour la revanche. Ahmed était fier de qui il était. né d'un père et d'une mère arabes, il avait dès son plus jeune âge baigné dans la culture orientale. et il en était fier, son cœur battait pour sa nation. mais lorsque quelques journalistes à la recherche de visibilité prenaient un malin plaisir à salir les couleurs de son pays et de ceux voisins, il devenait rouge de colère. il enrageait. comment pouvaient-ils s'enrichir sur le dos de nos pays, au prix d'un déséquilibre total de la société ? l'écart s'agrandissait, chaque jour un peu plus, et les mauvaises nouvelles s'entassaient entre les feuilles de papier noircies. n'avaient-ils donc pas honte ? honte de ne montrer que la partie émergée de l'iceberg ? et cacher aux yeux du monde les atrocités commises par ceux avantagés par la société ? masquer les délits par le nom d'un – comme ils aimaient tant le dire – étranger ? c'était on ne peut plus débectant. Ahmed trouvait ça injuste. ses confrères souffraient de cette haine masquée par des dites informations. parfois, il lui arrivait même de surprendre sa mère, en pleurs, un journal en mains. et il avait mal. non pas parce qu'elle pleurait – elle le pouvait, et après tout, c'était tout à fait naturel – mais parce que ces journaux créaient des plaies où devaient dorer la joie et la fierté. Ahmed était furieux. son frère, aussi. il s'appelait Ali. Ali était comme Ahmed, il pouvait mourir pour sa patrie, sa chère patrie, prunelle de ses yeux. lorsque, le lendemain, Ahmed était retourné au lycée, il aperçut les enfants issus de familles dites blanches portant un jugement non dissimulé dans leur regard, qu'ils accompagnaient de quelques chuchotis et de rires déplaisants. Ahmed était déjà en colère. le méritait-il ? son ami, Muriel, s'avança vers lui et déposa sa main sur son épaule d'une douceur fraternelle. Ahmed appréciait énormément Muriel. c'était grâce à ce genre de personne qu'Ahmed persistait à croire que les liens intercommunautaires pouvaient, et devaient exister. il avançait d'un pas assuré, arborant sur son haut, en plein cœur, les couleurs rouges, vertes et blanches de son pays. « il a pas osé ? » si, il avait osé. et fièrement. la veille, une énième mauvaise nouvelle était tombée : un homme, dont l'origine était encore à découvrir, avait vandalisé une boutique, ayant au passage fait une victime, armé d'un fusil à pompe. bien évidemment, les tabloïds avaient vu en cette attaque une opportunité de chacun miser sur l'origine du criminel – pour l'un, c'était un Algérien, pour l'autre, un Tunisien – pour ne citer qu'eux. Ahmed avait cassé le post-radio. il l'avait envoyé au sol sans aucune pitié. sa mère, ni personne d'ailleurs, n'était surpris : c'était le cinquième qu'ils rachetaient, et pas une fois, on le lui avait reproché car, secrètement, ils souhaitaient tous mimer son geste. ce jour-là, au lycée, on leur avait posé la question fatidique, celle qui brisait des rêves, divisait des familles, anéantissait des êtres, en motivait d'autres : que voudrais-tu devenir plus tard ? Ahmed s'était levé et, sans une once d'hésitation, avait confié : « je voudrais devenir quelqu'un d'important plus tard. mais avant ça, je voudrais devenir quelqu'un, pas seulement « l'arabe », ou « le voleur ». c'est facile de devenir quelqu'un, me direz- vous. oui, en effet, c'est facile ; c'est facile de devenir qui on souhaite quand on est issu d'une famille conforme aux règles de la société, de qui les parents n'ont jamais eu à se demander si les assiettes seront remplies le soir, ou de qui la mère n'a jamais eu à fuir les regards déplaisants dans la rue parce qu'elle porte un voile – ce même voile que j'admire parce qu'il est putain de beau et vous n'avez pas idée d'à quel point je suis fier des femmes qui le portent, parce qu'il les embellit tellement. pour en revenir à mes ambitions, je voudrais être égal à mes amis blancs – sans vouloir être blessant. pourquoi ? vous demandez-vous. et pourquoi pas ? pourquoi est-ce que je n'aurais pas droit aux mêmes avantages que d'autres ? c'est simple, je souhaite le respect des principes des Droits de l'Homme. vous vous attendiez peut-être à un gentil « je voudrais devenir médecin » ou « j'aimerais être un grand homme d'affaires super bien payé », mais avant ça, il faudrait peut-être qu'on ne me craigne pas sous prétexte que je suis arabe. mais sachez-le, je suis fier de mes origines, de ma famille, de mes ancêtres, et de mon pays. et il faudrait aussi que la société occidentale qui, la première consciente de son poids conséquent sur le monde entier, cesse d'encrer des clichés et des mensonges dans l'éducation des plus jeunes. en parlant de jeunes, j'ai un petit frère, Rayan. il a sept ans. et vous savez ce qu'il m'a dit, un jour, en rentrant de l'école ? « Ahmed, pourquoi on m'a traité de voleur ? alors que je te promets, j'ai jamais rien volé. » c'est donc ça qu'on inculque à nos petits frères et sœurs ? de ne pas se respecter les uns, les autres ? les journaux, la société, les haineux les pourrissent jusqu'aux os. mais il n'est pas trop tard – il n'est jamais trop tard –, on peut toujours aider notre prochain à évoluer dans un monde meilleur, leur faire comprendre que le monde n'est pas question de haine, et que toutes ces rivalités ne vont nous mener nulle part. croyez-moi, il en est de même pour nous tous. nous juger tous les matins pour ce que nous sommes ne nous aidera pas à avancer. alors quoi, parce que je suis algérien, je suis condamné à tenir une boucherie halal, ou parce que Zain est turc, il doit finir ses jours dans un kebab ? vous voyez, vous en riez, parce que c'est ridicule. on peut toutes et tous devenir qui on souhaite, médecin, boulanger, footballeuse, infirmier, P-DG, mais je vous assure que ce n'est pas en s'enfonçant les uns, les autres à cause de nos origines que ça va arriver. alors voilà, cher professeur, chers camarades, tout ça pour dire que je voudrais devenir plus qu'un cliché, et que cette question, excusez-moi Monsieur, du « que voudrais-tu devenir plus tard ? » est tout sauf intelligente. sur ce, merci de m'avoir écouté, en espérant ne pas avoir usé de ma salive pour rien. »

𝒐̂, 𝑴𝒆̀𝒓𝒆 𝒑𝒂𝒕𝒓𝒊𝒆
– VERD'ÂME

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