Chapitre 1

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- Comme la farine ? me demande-t-elle.

Elle continue malgré tout de soulever tous les coussins du petit canapé.

Elle, c'est Victoire. Née le 21 décembre 2000 dans la même ville que celle où elle a étudié jusqu'à présent. Ses parents gagnent leur vie raisonnablement et elle est fille unique. Elle a traversé la France pour commencer une nouvelle année d'études ici.
J'aurais pu continuer de lister toutes les informations que je possède à son sujet, mais elle se relève brusquement, manquant de me bousculer au passage, et pousse un cri de victoire. Je n'ai aucune idée de la source ayant mené à cette réaction, mais je devine aisément que Victoire est un peu tête en l'air en la voyant tenir un porte-clés comme un trophée.

- Pardon ! finit-elle par dire en se retournant.

D'un coup d'œil, je sens son regard me détailler de haut en bas, puis elle me tend sa main libre.

- Je suis Victoire !

Je réponds que je sais et elle sourit en haussant les épaules.

Bien entendu que je sais. J'ai lu les papiers nécessaires avant de m'engager dans cette colocation, mais pas elle apparemment. Après tout, tout le monde n'est pas aussi paranoïaque que moi.
Si j'ai fait une étude attentive du dossier avant de signer, c'est pour éviter les mauvaises surprises : pervers déguisé, fêtard de toute heure, couple squattant trop souvent l'appartement de mon colocataire plutôt que celui de l'autre... J'ai tendance à toujours imaginer le pire ; et je l'admets, cela m'empêche parfois de vivre.

- Enchantée Francine ! me dit-elle en souriant. Ta chambre est à droite. Je t'ai laissé la plus grande comme je ne savais pas si tu avais beaucoup d'affaires ou non.

Cependant, s'il a bien une chose que les papiers ne transmettent pas, c'est le caractère des gens. En quelques mots, Victoire a réussi à me montrer plus de choses sur elle qu'un discours de trois heures. Le comportement des autres en dit souvent long sur leur personnalité. Leur gesture, leurs mots, leur visage, il est généralement facile de savoir. Pourtant, ce n'est pas le cas avec l'écrit, car il manque une part essentielle : le visuel.

Je n'aime pas trop les communications écrites, mais quand il s'agit de sentiments et d'émotions, je suis incapable de parler. Je sais, c'est paradoxal : d'un côté, j'ai besoin du regard pour comprendre le sens des mots employés par les autres, alors que de l'autre, je ne supporte pas le leur. De regard j'entends. J'en ai peur, notamment lorsqu'il implique une mise à nu de mon cœur.

Je suis déjà tombée amoureuse plus d'une fois, enfin, on dirait plus que c'était des crushs, car le mot "amour" est bien grand pour définir ce que je ressentais, mais aucun ne l'a jamais su. À cause du regard, du jugement et des réactions en découlant.

Victoire me désigne ma chambre pour les mois à venir et m'aide à déposer mes affaires. Elle s'assoit sur le lit tandis que je m'attèle à ouvrir les placards pour déterminer la quantité d'espace que j'ai.
Elle commence à me poser des questions sur moi, ma vie, ma famille. Je lui réponds, bien qu'elle n'aurait pas eu à le faire si elle avait lu les papiers. Je lui en fais la remarque, mais elle m'explique qu'elle préférait le découvrir de vive voix, plutôt que plaqué noir sur blanc.

C'est compréhensible, je l'admets, mais pas quand on est comme moi. Je dois gérer la situation pour être à l'aise, sinon je panique. Je sais, c'est bizarre et ça risque de me poser des soucis dans le futur, mais je n'y peux rien changer, c'est plus fort que moi.

- Tu n'es pas très bavarde, constate Victoire avec une moue déçue. Dans ce cas, je le serai pour deux.

Je lui aurais bien répondu qu'elle ne me pose pas vraiment de questions nécessitant des développements sans fin, mais elle semble heureuse de pouvoir parler pour à ma place.
J'aime bien discuter avec les gens, bien que j'ai une préférence pour l'écoute. Je peux raconter des choses sur moi, mais je finis toujours par dire des trucs que je ne devrais pas. Et ça cause des ennuis : regards différents, éloignement, rires, moqueries, pitié...

La THÉOrie de Francine [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant