Nuit 1. Elle.

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« Essaye de t'imaginer à l'ère Crétacée. Tu jettes ton premier coup d'œil sur cette grosse dinde en débouchant dans une clairière. Elle avance comme un oiseau, en hochant de la tête. Et tu ne bouges plus, parce que tu te dis que peut-être son acuité visuelle est basée sur le mouvement, comme le tyrannosaure, et qu'il t'oubliera si tu ne bouges pas, mais non : pas le vélociraptor. Tu le fixes dans les yeux. Et il te fixe aussi intensément. Et c'est alors que l'attaque survient. Elle ne vient pas de face, mais par les côtés...

- Des deux autres raptors que tu n'avais pas encore vus !

- ...des deux autres raptors que tu n'avais pas encore vus. Parce que le Vélociraptor n'est pas un chasseur solitaire, il utilise un schéma d'attaque coordonné et il est sorti en force, aujourd'hui. Il fend l'air et te lacère avec ça : une griffe rétractile de vingt centimètres, coupante comme un rasoir, sur le doigt du milieu. Il ne prend pas la peine de te mordre la jugulaire, comme le lion, oh non... Il t'entaille ici, ou ici... Il t'ouvre peut-être le ventre et déverse tes intestins. Le pire, c'est que... tu es vivant lorsqu'il te dévore... »

Décidément, elle adore ce film. Elle a dû le regarder 15 fois, au minimum. Sa réplique préférée est celle d'Ellie : « Les dinosaures mangent l'Homme, la Femme hérite de la Terre. ».

Elle est enroulée dans un vieux plaid tout élimé, avachie dans le fond de son canapé moisi, en train de picorer des chips dans un paquet ouvert depuis un peu plus de deux semaines. Elle est bien. Si elle n'était pas en train de mater son film favori, elle s'endormirait bien.

Il doit être un peu plus de trois heures du mat'. Demain, ça va piquer quand va falloir se lever à sept heures. Mais elle n'en a rien à foutre à vrai dire. Elle a un boulot de merde où sa seule occupation consiste à mater le cul du stagiaire et ne rien dire quand son boss la reluque afin de pouvoir prétendre à une augmentation. On ne lui demande rien. Qu'elle ait la tête dans le cul où qu'elle soit en pleine forme, ça change que dalle. Alors autant passer le plus possible de son temps libre à faire des trucs cools. Elle se cale encore plus confortablement.

C'est sympa d'avoir le canap' pour soi toute seule. Et dire qu'il y a encore deux semaines, elle le partageait avec un trente-huit tonnes qui lui servait de mec. En son for intérieur, elle l'avait toujours surnommée son « bouche-trou » (pas besoin d'un dessin). Mais il était devenu amoureux. Alors elle l'avait largué. Non mais sérieux. Depuis quand elle la gueule de quelqu'un dont le but dans la vie c'est de posséder un break, une grande maison, deux gosses et un labrador ? Depuis, elle bouchait son trou toute seule. Ça marche tout aussi bien et tu évites de bouffer de la RAM en t'occupant de la présence d'un autre être humain. Elle avait bien fait de le larguer.

La chasse d'eau du mec d'à côté. Les murs sont en cartons. Un jour elle gagnera au loto et se cassera de ce taudis (qu'elle paye une fortune soit dit en passant. Le privilège de la capitale). Mais en attendant, il y a un tricératops à aller soigner.

Notre vue est basée sur le mouvementWhere stories live. Discover now