Au début de l'automne, je ne connaissais rien à rien des sciences, des théories et des expériences qui font péter le labo. J'étais encore loin de décrocher le prix Nobel et tout ce que je savais faire c'était me laisser glisser sur le goudron des rues avec le nouveau skate que m'avait offert ma mère à mon anniversaire. C'était un Flip Deluxe avec maître Yoda peint sur le dessous. Je n'avais jamais rien eu d'aussi beau de toute ma vie, j'en prenais soin comme la prunelle de mes yeux.
On venait de s'installer en ville avec ma mère, dans un petit appart où j'avais réussi à coller tous mes posters Dragon Ball sur les murs de ma chambre sans qu'elle ne m'engueule. Une vraie victoire.
Comme mon entrée en quatrième n'avait pas été une grande réussite niveau sociabilité et que je ne m'étais toujours pas fait un seul copain en trois semaines de cours, ma mère m'avait incité à sortir avec mon skate hors de la cour de l'immeuble pour « rencontrer des adolescents de mon âge ».
- Ça sert à rien les amis, avais-je répliqué en vidant le tiers de la bouteille de lait dans mes céréales. Je vis très bien seul.
Elle avait soupiré.
- Alors tant pis pour toi, mais ne compte pas sur moi pour te tenir compagnie dans vingt ans quand tu seras fatigué de passer tes journées entre tes céréales, ton skate et tes mangas.
Je n'avais rien trouvé à répliquer et elle était sortie de table en me laissant en plan. Sa réflexion s'était tournée et retournée dans ma tête toute la journée comme dans une grande machine à laver jusqu'à ce que cette idée m'angoisse : elle avait raison, je ne voulais pas mourir seul.
C'était donc vers 17 heures pétantes que je m'étais enfin décidé à sortir, ma planche calée sous le bras. J'avais enfilé mes converses jaunes et mon sweat Captain America pour affronter la douce brise de l'automne sans violon ni sanglot monotones.
Yoda fermement maîtrisé du bout des pieds, je m'étais mis tranquillement à glisser dans les rues de la ville, guettant quelques autres skateurs avec qui j'aurais pu cascader un peu. Mais c'était à croire que personne ne connaissait les skateparks dans ce nord tout pourri. Je n'avais croisé que des mamies à chihuahua et des trentenaires promenant leurs bébés. Et puis il ne fallait pas se voiler la face, la trottinette avait lamentablement pris le dessus sur le monde de la glisse. Quelle angoisse que toutes les bonnes traditions s'évaporent un jour comme ça, remplacées par des grossières nullités.
Enfin, mon heure de promenade s'était rapidement avérée ennuyeuse à mourir, qui plus est que « la fantastique ville qui est dans le nord mais qui, tu verras, accueille le soleil plus souvent qu'on ne le pense » comme m'avait dit ma mère pour que j'accepte l'idée du déménagement, n'avait rien du tout d'une ville ensoleillée. On était en Octobre et on se les pelait déjà comme en Transylvanie. Mon sweat Captain ne faisait clairement pas le poids.
Je ne rappelle encore de la première fois où j'avais pénétré dans le parc, en bordure de la ville. On aurait dit Central Park mais en version miniature, un peu comme un jouet happy meal. J'avais passé le grand portail en ferraille et je m'étais fait engloutir par la végétation presque envahissante du lieu. Tout était trop vert, trop grand, trop épais. Ça m'en avait dit long sur la fréquence pluviale de la ville, tant qu'à y être on aurait dû déménager en Ecosse.
Au fond du parc, derrière un grand promontoire artificiel, il y avait un canal qu'on pouvait traverser par un petit pont en fer. Le lieu, comme abandonné, m'avait semblé être contrôlé par la mauvaise herbe et les tags. Cette solitude avait de suite plu à ma colère grandissante. J'avais donc laissé mon skate près du canal pour me la jouer Joaquin Phoenix et balancer une espèce de bouteille de bière vide qui traînait au sol par dessus le pont en fer, histoire de faire comprendre à la terre entière que je détestais cette ville pourrie, ma nouvelle maison, ma mère et ma vie misérable sans aucune aventure digne de ce nom.
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La Théorie de la Converse
Novela JuvenilDarwin et la théorie de l'évolution, c'était tout un tas de sornettes à côté de ce qu'on avait découvert, avec Anatole, l'automne de nos treize ans. Nous avions nommé notre trouvaille : La Théorie de la Converse. Comme si elle avait eu une quelco...