L'obscure déraison

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Je me suis toujours senti triste et seul et ces deux mots m'ont toujours paru lié.
Souvent quand j'étais triste c'est parceque j'étais seul, souvent quand je me retrouvais seul c'est parceque j'étais triste.

Ô et quelle tristesse !
Sans raison, elle me prend et m'écrase, elle me frappe et me laisse dans un épuisement total, seul, sans issu, dans une obscurité effrayante et j'ai mal de trop de questions qui m'empêchent de bouger.
Elle est éphèmére cette tristesse, mais si intense que parfois j'ai l'impression qu'elle ne me quiterra jamais.
Mais j'essaie de reprendre des forces pour me relever alors je reste là un instant, détruit par mes blessures, le corps en charpie et dans cette obscurité arrive faisant résonner les murs de ma sombre prison ma vieille amie qui ne me laisse jamais réellement seul.

La Solitude, la jalouse Solitude qui ne veut jamais me laisser et qui me veut toujours à ses côtés même quand je suis entouré.
Très vite quand j'essaie de m'échapper d'elle quelques secondes, elle me rattrape et de ses longs bras nerveux, s'accroche à moi et m'enlace et j'avance et je lutte, et je détourne le regard, je marche plus vite, je cours, je pleure aussi, mais ses bras me rattrapent et je m'arrête peu à peu.

Il y'a une poudre magique dans ces bras qui éteint ma résistance et je l'ai senti quand j'ai cessé de courir alors mes yeux ont versé leurs plus profondes larmes.

Elle est venue jusqu'à moi, se transformant, arborant sa nouvelle forme devenant une de ses femmes séduisantes mais qu'on sait au premier regard qu'elle nous seront fatales.
Le rouge sur ses lèvres lui est si spécifique, formé du sang de ses victimes, elle nous montre sans pudeur sa véritable nature.
Ses cheveux sont longs et noirs, sont si bien peignés, si brillants, si soyeux qu'ils ondulent joliment et amènent à son visage une telle douceur que j'ai l'impression qu'elle est parfois plus séduisante que ce que je perds en restant à ses côtés.

Elle me torture la Solitude, elle me fait croire qu'elle est belle et plus belle que tout autre et que sa compagnie est plus avantageuse que celle de la personne que je pourrais aimer le plus. Elle m'en donne l'illusion, de ce confort, de cette protection alors qu'elle m'isole, qu'elle me mange et que je m'auto-détruis par sa faute.

Son visage et son corps sont pâles, elle est si blanche la Solitude, on voit dans sa couleur qu'elle est un concentré d'isolement, de peurs, de craintes, d'angoisses, de peines et d'une multitude d'horribles sentiments qui ne sont là que pour nous isoler, nous promettre le bien puis nous noyer sans pitié dans un lac où l'eau glacé qui nous anesthésie nous conforte un peu au milieu de notre immense malheur. Isolé du reste du monde que faire d'autre que subir dans un silence qui saura épargner nos maux à quelques oreilles impatientes ?
Elle est toxique la Solitude, elle me fait croire qu'elle m'est nécessaire mais vêtue de ronces, elle me blesse, me fait souffrir tout en me consolant.
Parfois même elle lance ces paroles enchanteresses alors qu'elle me fixe de son regard hypnotique :

"Regarde le peu de sang que tu perds, le peu que tu souffres ici avec moi. Rien n'est entièrement doux.
Tu me reproches mes maigres coupures mais n'est-ce pas de plus profondes blessures causés par le Monde qui t'ont mené à moi ? Ne t'ai-je pas aidé à les panser, ici, loin des autres qui t'ont tant blessé ?"

Et je me rends compte qu'elle a raison la Solitude alors je pose ma tête sur ses genoux et je cesse de penser.
Elle passe ses douces mains sur mon visage et endors un peu plus ma volonté de me défaire à elle.

Elle a un certain confort la Solitude ; elle nous isole d'un mal potentiel, affine ce qu'on perd et nous offre ses bras réconfortants.
Elle est vile la Solitude, elle se propose à nous comme la solution sans nous montrer son vice.

La tête posée sur ses genoux, je sens ses épines sur mon dos et ma nuque, je sens la douleur qu'elles me procurent mais je ne bouge pas et elle est fière de moi la Solitude.

Je reste longtemps ainsi, tellement que la douleur disparait tout à fait.
Et, à cet instant je n'ai plus peur de la Solitude, je bois ses paroles et me repose volontiers sur son corps épineux qui me fait si souffrir sur le long terme mais qui a si peu d'impact sur le moment.

Alors après des mois passés avec elle à essayer de lutter ne serait-ce que mentalement je respire une dernière fois son parfum soporifique et l'embrasse.

Ô baiser empoisonné !
Ses lèvres se détachent des miennes et mon corps se remplit d'air au point que mes pieds touchent difficilemment le sol et mon cœur se glace et se vide.

C'est cela son poison à la Solitude, c'est qu'on pense qu'elle nous fait plus de bien que de mal, mais arrive un moment où comme une fatalité on se retrouve confronté aux grandes questions de l'existence sans personne pour nous les faire oublier.
Alors on s'y frotte volontiers fort du regard de notre belle Solitude.

Solitude ou non, l'absurdité du Monde  nous y aurait poussé.

Et presque aussitôt, on s'y brûle, seul face à l'abysse des questions sans réponse, on est englouti de pourquoi, de comment, de qui et on ne peut se donner que l'illusion que nous sommes nécessaire.

Ces gens autour de nous, ceux que l'ont rencontrent aux détours d'une route, à la croisée des chemins, sur les sentiers de la vie, ils nous aident à oublier ces questions, à les maquiller ou au moins à les rendre moins douloureuses ils ne sont plus là, ils ont été remplacé par la maligne Solitude.

Mais nous avons besoin de nous sentir nécessaires et que les autres nous apporte un bonheur qu'on ne peut concevoir par nous-même.
Dans cette tristesse immense, dans cet isolement sans issue, dans cette solitude mortifaire, il n'y a pas de main pour nous sortir du torrent.

Alors on se meurt peu à peu dans les bras de la médusante Solitude, coincé au milieu de ses ronces, suintant de douleur et du sang perdu sur ses piques réconfortants, épuisé, souffrant de son isolement.
Des plaintes muettes s'échappent des cœurs entravés par les épines et les corps blessés murmurrent de pathétiques lamentations.

Le champ de Solitude est sombre et peuplé à perte de vue et beaucoup d'entre nous y sommes tombés ou y sont encore.
Les corps pris dans les ronces de cet impitoyable Solitude, le sol est devenu une mer de sang.
Sang de ceux qui y ont succombé, de ceux qui y revienne constamment sans pouvoir s'en empêcher, de ceux qui y sont presque depuis toujours.

Les corps vêtus de voiles légers sont selon le temps passé plus ou moins abîmés et certains résistent encore, d'autres ont fermé les yeux et sont bercés par la maudite poudre soporifique.

Dans cet immense horreur, les cris, les lamentations et les pleurs forment un orchestre effrayant mais harmonieux et ils semblent jouer dans leur malheur sans fin, le plus beau requiem à la souffrance humaine.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 16, 2020 ⏰

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Le mal au corpsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant