Janvier 2004
Il s’apprête à rentrer chez lui, seul. Comme tous les jours. À passer sa journée en solitaire, comme le furent tous ses anniversaires depuis le massacre de sa famille. Il avait même emmené des dossiers confidentiels d’archives à lire chez lui pour combler son ennui et le vide, en buvant du thé. Des occupations qui pourraient s’avérer utiles pour mener à bien ses projets sans repenser au fait qu’il était désespérément seul et sans allié. Yûkichi avait posé sa journée inconsciemment. Comme chaque année. Non, rien n’aurait dû sortir de l’ordinaire.
La seule différence est qu’aujourd’hui, il fête ses trente ans, et même si cela n’est pas fêté, il s’agit d’un cap important. Une date lui rappelant que la vingtaine était déjà passée. Une date marquant plus de deux décennies de solitude. Vingt-et-un ans qu’il se contentait d’observer son entourage, pour s’instruire, s’informer, et attendre. Mais cette attente rongeait sa vie. Et rien de tel que le cap de la trentaine pour lui rappeler cette vérité.
Sortant de la supérette dans laquelle il était allé faire le plein de thé vert, l’assassin se dirige vers son appartement, dans un quartier près du centre de Tokyo. Passant près d’une ruelle, il entend un bruit s’en échappant. Allons bon, sûrement un gars voulant le tuer quand il passerait entre les deux immeubles. Ce genre d’incidents arrivait peu depuis sa promotion, sa statut reconnu notamment parmi la pègre dissuadant les actes de revanche sur un coup de tête, et limitant ainsi les pertes humaines. Peu de personnes osaient désormais s’attaquer au “Loup argenté”. Il avait d’ailleurs réalisé il y a deux ans seulement le véritable sens de ce surnom. “Argenté” pour ses cheveux qu’il devait maintenant attache en chignon serré pour cacher leur longueur. Détachés, il lui donnait véritablement l’air d’un homme vivant en pleine nature, pourvu d’une crinière ébouriffée et d’un regard de bête. “Loup” car il était un être solitaire, vivant son meute à laquelle se greffer ou chez laquelle chercher du réconfort. Un surnom reflétant donc parfaitement sa situation. Belle ironie, comme si ses ennemis s’étaient mis d’accord pour le narguer davantage encore.
Son attention se reporte sur la ruelle. Il soupire avant de s’y engouffrer, affichant un regard terne mais acéré. Il fait trois pas. Porte sa main à son katana caché son sa longue veste vert sombre. Il empoigne la poigner, continuant d’avancer. Le bruit provient de derrière une poubelle. Trois seconde avant de dégainer. Deux. Un.
Un miaulement retentit dans la ruelle. De l’arrière des sacs et détritus surgit un chat sale aux poils marron foncés. Fukuzawa se radoucit. Il lâche son sabre et se penche après avoir vérifié les alentours. Personne à l’horizon. il approche sa main de l’animal, doigts tendus, prêt à le caresser.
“Ainsi donc, j’avais raison. Tu sembles avoir un penchant pour les félins.”
Yûkichi se redresse d’un coup, portant sa main à son épée. Devant lui se tient un homme vêtu d’un chapeau melon, d’un long trench-coat brun et d’une moustache façon hercule-poirot. Sous sa main droite, l’éclat verni d’une canne. La vision de cet inconnu détend Fukuzawa sans qu’il ne sache pourquoi. Il lâche son arme, et répond :
“Il faut croire que les êtres seuls s’attirent les uns les autres.”
L’homme en face secoue la tête négativement tandis que le chat fuit en feulant, comme si il s’était senti offensé par cette-dernière réplique.
“Tu te confonds dans ta misère ?”
A ces mots, Yûkichi sentit sa mâchoire se serrer.
“Qui êtes-vous pour m’interrompre ainsi alors que je rentre chez moi pour me juger ainsi ?”
“Je suis un homme qui va te proposer une alternative. Tu dis que tu es seul, et je peux te lancer sur une piste pour y remédier.”
“Et bien je suis bien curieux de la connaître. Cela fait vingt ans que je cherche une solution.”
L’inconnu au chapeau rit doucement.
“C’est parce que tu ne la cherches pas au bon endroit. J’ai toujours dit qu’un provincial venant de Kyushu ne saurait s’habituer à la capitale.” Il sortit une photo de sa poche en prononçant ces mots. “Par contre, j’en connais une autre de ville qui mérite d’être protégée. Et je pense que tu as la carrure.”
Fukuzawa le jaugea longuement du regard, lisant entre les lignes. cet homme voulait qu’il quitte son “emploi” à Tokyo pour aller servir autre part. Et par “servir”, nul doute qu’il serait sous ses ordres. Une perspective ressemblant à sa situation actuelle. Et pourtant, une clause supplémentaire s'ajoutait à ce nouveau contrat.
“Me sortir de ma solitude, vous ? Vraiment ?”
“Cela ne dépendra que de toi. Ce que je te propose, ce sont des pistes pour entamer un nouveau départ à ton âge.” Il tendit la photo devant lui. Elle représentait une ville vue depuis une baie, des buildings et une grande roue se détachant sur le ciel gris. “Elle s’appelle Yokohama. N’est-elle pas magnifique ?”
Yûkichi se fendit d’un petit rire.
“Je ne sais pas, je n’y suis jamais allé.”
“Et bien il y a un début à tout. Mais je t’expliquerai tout cela chez toi, avec une tasse de thé. Tu peux m’amener à ton appartement ?”
Yûkichi haussa un sourcil, perplexe. Devait-il laisser cet homme faire ?
“Ah, et comme tu n’allais pas y songer, j’ai amené un gâteau au thé vert. Par contre, tu m’excuseras mais je n’avais pas trente bougies à ta disposition !” Lança-t-il d’une voix chantante.
Cela acheva la réflexion de Fukuzawa qui tourna le dos et commença à s’en aller.
“C’est par ici. Et le gâteau n’était pas nécessaire.”
“Allons bon, cela aurait été dommage, un anniversaire sans gâteau. D’autant plus que je pensais que tu adorais le matcha. Mais si tu insistes, je peux le garder. Mais que pourrais-je t’offrir en échange, en plus de ma proposition.”
“Et bien, d’abord votre nom avant d’avoir franchi ma porte d’entrée. Ensuite, le calme jusqu’à notre arrivée. Et enfin, si nous étions amenés à nous revoir, le souvenir que je préfère la soupe de azuki.”
“Soit. J’en amènerai donc la prochaine fois. Car il y aura une prochaine fois. Je me nomme Natsume Sôseki. Et pour ta gouverne, jeune loup, je t’offre également un moyen d’atteindre ce que tu cherches en plus de tes projets. Si tu me sui, peut-être que tu arriveras à découvrir une source d’égalité qui te soit propre.”
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"Happy Birthday Fukuzawa" Recueil d'OS 2020
FanfictionEn ce merveilleux 10 Janvier 2020, célébration du jour béni ou la perfection incarnée est venue au monde (vous me dîtes si je vais trop loin), deux perfections même, Fukuzawa et Kôyô, nous vous proposons ce recueil de 9 OS sur un personnage sans qui...