Janvier 2017

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Janvier 2017 :

La porte de l’Agence claque, se referme bruyamment sur une Yosano essoufflée :

“Bon sang ce qu’il fait froid !”

“Tiens, salut Akiko ! Tu veux un bonbon pour te réchauffer ?”

Ça alors, tu partages toi maintenant ?”

Yûkichi sourit en les observant depuis la porte entrebâillée de son bureau. Il a fait exprès de la laisser ouverte et, par le biais d’un jeu de miroirs assez complexe, peut veiller sur les occupants de la pièce commune. Il a enfin pu monter son agence de détectives. Certes, cela fait peu de temps et les employés sont peu nombreux. Les clients non plus ne se pressent pas au portillon. Mais il a mené à bien le début de son projet. Les seuls employés sont rassemblés dans la grande salle, attendant le début des instructions. En jetant un coup d'œil aux différents CV encore sur son bureau, Fukuzawa s’interroge toutefois sur ses choix. Une secrétaire et trois détectives. Enfin deux détectives et un informateur. Voilà tout ce qu’il s’était permis pour le moment. La fine équipe est composée de deux jeunes femmes, Akiko Yosano et Kirako Haruno. L’une recrutée à la sortie d’une salle de conférence après une promesse de licenciement. L’autre arrachée à des années de mauvais traitements dans les corps de l’armée japonaise sous l’aile de Mori. Yûkichi secoue la tête. Pas une bonne idée, de se souvenir de son ancien amant le jour de son anniversaire. Il reporte son attention sur les feuilles. Katai Toyama et Edogawa Ranpo. Deux génies. Excentriques, certes, mais talentueux. Un groupe de quatre auquel il espère voir se greffer d’autres personnes comme lui exclues, rejetées ou incomprises. Pour leur offrir un foyer en somme. Oui, Yûkichi aimerait que cette agence puisse devenir sa maison, et ses employés sa famille. Il a quarante-trois ans. Il ne compte plus les années. Il sait juste qu’il est resté dans son coin beaucoup trop longtemps. Et il ne remercierait jamais assez Natsume-sensei de lui avoir fait prendre conscience de ça. Même si sa situation actuelle ne s’est pas faite sans sacrifices.

“Donc, ton anniversaire c’est aujourd’hui ? Mais pourquoi tu ne nous l’as pas dit ?”

Yûkichi ouvre brusquement les yeux qu’il avait fermés. Cette voix. Elle lui paraissait si réelle. Bien qu’elle ne soit plus qu’un souvenir. Il se rappelle que si c’était hier de cette époque. Cette période de bonheur qu’il avait du sacrifier pour mener à bien son projet. Yûkichi se lève, le regard flou, et s’approche de la fenêtre. Il scrute la rue, comme à la recherche de visages familiers. Il sait qu’il pourrait potentiellement les voir. Après tout, ils habitent la même ville. Mais Elise et Rintarou sont pourtant si loin de lui. Il existe un mur de brouillard séparant crépuscule et nuit noir, quoi que l’on en dise. Il sait qu’il ne pourrait pas leur faire face. Pas après ce choix terrible. Pas après leur dernière dispute. Alors il se contente de chercher du regard des chevelures blonde et noire ébouriffée. 

C’est dans cette position, en appui sur le rebord de la vitre, que le trouve ses tous nouveaux proches en entrant dans le bureau. 

“Hum… Excusez-moi, Monsieur ?”

Le quadragénaire se retourne pour faire face à quatre visages amusés, soucieux, neutres ou distraits. Les premiers membres de ce qui deviendrait une belle équipe de bras cassés et de cas sociaux. Un début de patchwork qui lui plaît déjà. Il répond doucement :

“Oui ?”

“Et bien, on nous a dit que c’était votre anniversaire aujourd’hui. Et vu qu’on vient de lancer l’Agence, on s’est dit que l’on pourrait aller fêter ces deux évènements tous ensemble ?”

Le plus âgée porte sur sa secrétaire un regard intrigué. Une sortie ? Il n’en avait pour ainsi dire jamais fait de son plein gré en compagnie de collègues. Et l’idée, bien qu’étrange au premier abord, ne lui déplaisait pas.

“Oui, pourquoi pas.”

“Vous êtes d’accord ? Vu votre tête Patron on aurait plutôt dit que vous alliez refuser !”

“Ranpo ! Un peu de respect quand même ! Et d’où tu l’appelles “Patron” ? C’est super familier !”

“Non, laisse le Akiko. Il peut tout à fait m’appeler ainsi.”

“Vous êtes sûr ? Nous aussi alors ?”

“Oui.”

La jeune femme le fixa avant de rire doucement. Ce grand gaillard timide l’attendrit. Et elle le respecte profondément. Quelque part, elle sait qu'elle pourrait retrouver un père en lui. Ne voulant pas relancer le sujet de conversation sur le travail, elle s'abstient de parler à son supérieur de l'avancée de la procédure de recrutement d'un professeur d'université. Et ne lui parle pas non plus de l'inquiétant mail reçu par Haruno provenant du ministère indiquant l'arrivée d'un "élément moteur mais à surveiller quotidiennement". Elle lui en parlera plus tard. La joyeuse troupe discute encore un peu avant de se diriger vers la sortie. Les plus téméraires tentent de dérider l'aîné du groupe, ce dernier gravant dans sa mémoire ces souvenirs.

Yûkichi pourra combler un manque avec eux. Ils lui apporterons joie et compréhension. Lui leur offrira protection et nouvelle identité. Ce n'est que le début de leur reconstruction. 

Et quand on lui demande au restaurant de prendre la parole pour un discours, c'est résolu qu'il commence à leur transmettre sa quête :

"Ce que je souhaite vous offrir est ce que je recherche également. Tous ensemble, nous protégeons cette ville. Mais je vous demanderai une faveur : que nous puissions parler d'égalité."

Les jeunes sourient, un peu interloqués, tandis que Haruno part chercher un appareil photo. Il faut immortaliser l'instant.

"Happy Birthday Fukuzawa" Recueil d'OS 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant