Janvier 1998

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Janvier 1998 :

"En récompense pour votre fidélité et votre motivation, le Gouvernement, sous l'ordre du Premier Ministre, à l'honneur de vous nommer "Assassin officiel et titulaire de l'Etat". Toutes mes félicitations, Monsieur Fukuzawa."

L'officiel reçoit en réponse de la part Yûkichi un regard morne, semblant le traverser comme s'il n'était que fumée. Le jeune a 24 ans désormais. Il n'a toujours pas pu s'extraire de sa situation. Personne autour de lui ne souhaite qu'il ne parte. Voilà désormais quinze ans qu'on est venu le chercher après que sa famille ait été massacrée. Quinze ans que le gouvernement l'utilise. Et quinze ans que l'orphelin laisse faire. Où pourrait-il aller s'il partait ? Il aurait les moyens de fuir. Peut être même de survivre. Mais on ne le laisserait pas déserter impunément. On lancerait l'armée après lui. Et comme elle ne serait pas suffisante pour le trouver et l'éliminer, on enverrait les molosses d'Etat. Cinq soldats sanguinaires. Des monstres encore pires que lui. Des utilisateurs de pouvoirs. Ça signerait sa fin, à lui dont le pouvoir est inutilisable en combat. Pouvoir dont il garde les spécificités secrètes. Nul n'a besoin de savoir. Nul ne l'utilisera en le manipulant. C'était une des seules choses qu'il lui restait. Un pouvoir portant un nom bien ironique. "Tous les hommes naissent égaux." De quoi le faire éclater d'un rire amer. Encore cette question d'égalité.

Il laisse son regard dériver sur les invités de la soirée. Rieurs, hypocrites, orgueilleux, sûrement nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Des êtres qui ne lui ressemble en rien. Et qu'il est obligé de supporter pour la soirée, en plus de son quotidien voilé de rouge. On le félicite avec des mots ressemblant aux sifflements de milles vipères guettant pour le mordre au talon. On lui tourne autour, on le surveille. Le loup n'est plus qu'un prisonnier dans une cage décorée d'or et de lumières. Ses crocs ne sont pas brisés. Juste inutilisables pour l'instant. 

Retenant une grimace de dégoût, il se force à aller saluer et remercier ses anciens supérieurs. Voilà la seule nouveauté réjouissante, il n'aura plus à prendre ses ordres de n'importe qui. Il aura moins de missions. Des plus compliquées certes, mais moins de boucheries hebdomadaires en perspective. Et en prime, ce qu'il attendait d'avoir depuis des années. En tant que titulaire, on lui accordait enfin l'accès aux archives, donc aux informations confidentielles concernant les précédentes missions qu'il avait effectué. Un moyen de prendre du galon, et de faire valoir aux autres fonctionnaires qu'il était leur égal. C'est là une des douces revanches tant attendues et espérées en réponse des années de mauvais traitements vécus au département. Tous les officiels n'étaient pas à jeter, loin de là. Mais Yûkichi réalise dans ce décor sur-réel de soirée mondaine qu'on ne le voit pas comme un collègue fraîchement promu. Mais comme une bête curieuse. Il reste un loup en cage pour eux. Une bête dangereuse tenue en laisse. 

Ses pensées sombres gâchent le goût du vin qu'on lui fait boire. Et en levant les yeux vers la lune qu'il peut apercevoir au travers les vitres de la salle de réception, il voit l'astre afficher un sourire cynique, moqueur. Et, sûrement le fruit de son esprit embrumé par les effluves de l'alcool, il lui semble entendre l'œil de la nuit lui souffler quelques mots :

"Joyeux anniversaire Yûkichi."

"Happy Birthday Fukuzawa" Recueil d'OS 2020Où les histoires vivent. Découvrez maintenant