Chapitre 2

155 3 0
                                        

Le lendemain, Élisa Hautmann est dans une robe d'été, caressant des épis de blé et souriant au photographe. Mais, sitôt la photo prise, le visage de la jeune femme se renfrogne. Elle est ailleurs, aujourd'hui.

— Oh ! Qu'est-ce que t'as aujourd'hui, dis-moi ? finit par réagir le photographe avec son accent marseillais bien marqué. Je te sens pas avec nous. Et quand t'es pas avec nous, on fait du mauvais travail.

— Me casse pas les oreilles, JP, contente-toi de faire ton boulot.

Le photographe retient avec peine un soupir et se remet au travail. À ses débuts, Élisa le vouvoyait, le respectait. Ce temps semble bien loin désormais. Elle n'est pas non plus la pire personne avec laquelle il bosse, mais elle est très froide. Et aujourd'hui davantage.

Cependant il n'y a pas à dire, Élisa sait parfaitement se mettre en valeur. Elle a laissé ses cheveux châtains détachés et profite même d'une courte pause – lorsque Jean-Philippe reçoit un important appel – pour trouver de quoi se faire une couronne de fleurs. Sitôt faite, elle la pose sur ses cheveux et JP est tant émerveillé qu'il raccroche au nez de son interlocuteur et la photographie là, comme ça, le regard au loin, une main attachée aux épis de blé, l'autre dans le vide, et ces fleurs entremêlées à ses si beaux cheveux.

Élisa est belle quand elle sourit, oui. Ses fossettes, son visage, ses lèvres, ses dents, ses yeux. D'accord. Oui, Élisa est belle quand elle sourit.

Mais il n'y a rien de plus beau qu'Élisa lorsqu'elle est humaine.

Lorsque JP lui fait savoir que la séance est terminée, son visage se referme et elle retire avec dégoût les fleurs de sa chevelure. Puis, comme si de rien n'était, elle fait glisser les bretelles de la robe d'été puis la laisse tomber au sol, laissant sa poitrine nue. Mais ça fait partie du travail, elle a l'habitude. Le photographe et la styliste aussi.

— Arrête de me mater, t'es là pour prendre en photo, rien de plus, dit-elle sèchement.

Le photographe va pour protester, mais se ravise. Il sait que cette fille va vite devenir importante dans le milieu et ne compte pas se la mettre à dos. Elle ne fait que le provoquer de toute façon et il le sait très bien puisqu'il était occupé à nettoyer l'objectif de son appareil. Lors de ses débuts, dans ses dix-huit ans, elle le taquinait souvent à ce sujet à cause du manque de pudeur qu'ils lui infligeaient. Ça n'a pas été facile pour elle d'accepter de se mettre à nue devant des inconnus. Ils sont une équipe désormais, alors les choses ont changé, elle ne se préoccupe plus de montrer son corps. Mais cette année, elle le dit d'un autre air, comme si elle l'attaquait. Comme si elle désirait faire passer un message, un appel au secours... JP reste persuadé qu'il n'y est pour rien dans son humeur : il n'a jamais eu de geste, de regard ou de mot mal placé à son égard. Il prend son travail très à cœur et ne se permettrait jamais de violer l'intimité de la jeune femme. Il a pourtant remarqué qu'elle est souvent perdue dans ses pensées et s'il ne la ramène pas sur terre assez souvent, il s'installe sur son visage ce voile de tristesse qui trouble son regard. Il aimerait l'aider, mais il ne sait pas comment. Il ne comprend pas à quel moment les choses se sont dégradées. Il sait, il sent que cela n'a rien à voir avec leur collaboration. Il se contente de ne pas entrer dans le jeu de la jeune femme, de ne pas lui donner de raison d'être en colère contre lui, de lui faire comprendre qu'il est là si elle a besoin de parler.

— Et puis la prochaine fois, pensez à prévoir les accessoires. Je veux dire, je ne peux pas toujours sauver la mise avec trois tiges et deux fleurs qui se courent après.

La styliste se contente, sans broncher, de récupérer la robe qu'Élisa a laissée dans les épis de blé, tâchant de ne pas intervenir dans la discussion à laquelle la jeune modèle vient de l'ajouter. Paige adore Élisa mais elle s'accorde à dire qu'elle peut agir avec eux comme s'ils étaient de la vermine ces temps-ci. C'est, chez la jeune femme, la seule chose qu'elle n'apprécie pas. Cependant, plus le temps passe plus Élisa semble prendre en confiance en elle — et donc, par effet inverse, perdre en estime des autres. Elle s'est transformée en cette garce avec qui il est devenu désagréable de travailler. Mais comme JP, elle se dit que la jeune femme est dans une mauvaise passe. Il n'y a qu'à voir son air si fragile lorsqu'elle se déshabille. À moitié nue, elle semble se départir de ce masque qui fait tant rêver tout le monde autour d'elle. JP et Paige la connaissent depuis maintenant quatre ans. Ils l'ont connue timide, innocente, rebelle, ils l'ont vue échouer et réussir ; se battre et lâcher prise. C'est un monde impitoyable. Avoir un brin de célébrité dans une ville banale est loin d'être facile tous les jours. Avant d'être modèle, Élisa est humaine.

Aimer Elisa - Axelle AsfoshOù les histoires vivent. Découvrez maintenant