Chapitre 5

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Ce matin-là, c'était un jeudi matin, j'arrivais au lycée l'angoisse soudée au cœur comme d'habitude mais cette fois-ci j'avais aussi envie de pleurer. Plus aucune envie de me battre, envie d'abandonner la lutte éternelle. Je fis irruption dans la classe alors que le cours avait déjà commencé, les élèves tournèrent leurs regards mornes vers moi, cette trentaine de regards me cloua sur place, je rêvais de m'asseoir sur ma chaise et de disparaître pour la fin de la journée mais la prof, cette furie, avait des comptes à régler avec moi, elle me détestait et je lui rendais bien, j'avoue avoir été insolente avec elle plus d'une fois mais se servir de mon retard pour régler ses comptes c'était un peu bas quand même.

"Comment justifiez-vous votre retard mademoiselle ?
-Panne de réveil.
-Hum...je ne vous crois pas. Votre retard est l'illustration même de votre manque d'investissement dans mon cours. Sachez que si vous continuez ainsi je devrais en référer à Monsieur Arrovitz. Compris ?
-...
-Compris ?
-Je ne comprends pas ce qui vous fait croire que je vous mens, j'ai bien trop de respect pour vous Madame, répondis-je en m'asseyant à ma place."

Un sentiment d'invincibilité m'envahit, l'adrénaline se diffusa dans mes veines, j'avais peur qu'elle ne m'exclut du cours mais elle me jeta un regard noir et retourna à ses moutons alias les autres élèves. Elle était pathétique, son seul moyen de pression sur les élèves était de mentionner Monsieur Arrovitz.

À l'intercours je restai à ma place, la tête dans les bras, je n'avais pas la force d'aller voir Mélanie et Louise, pas la force de tenir une conversation inintéressante. Au bout de quelques instants je sentis une présence qui s'assit sur la chaise à côté de moi et me tapota l'épaule.

"Ça va ? demanda la présence de sa voix un peu grave.
-Ça va, ça va, répondis-je en relevant la tête, c'était Oscar, et toi ?
-Ça va pas mais je ferais comme toi, je te dirais que ça va parce que c'est tout ce qu'on a le droit de dire dans cette putain de société.
-Ah ah, bien dit.
-On mange ensemble ce midi ?
-Hum... Attends que je réfléchisse, est-ce que j'ai le droit de manger avec quelqu'un qui va mal ou est-ce que c'est interdit par la loi des bien-portants ?
-Je crois que c'est interdit mais j'ai entendu dire que t'étais une rebelle."

Je le connaissais pas comme ça, c'était amusant de voir qu'il avait la même façon cynique de voir la société que moi.

On se posa dans le parc du Luxembourg, sur un banc qui donnait sur les terrains de tennis. Il faisait un peu froid. On était passé par une boulangerie, j'avais juste acheté un pain au chocolat parce que j'avais pas trop les moyens, il s'était acheté un croque-monsieur et un dessert, il me proposa de partager son croque avec moi, je nous roulais un joint, j'avais les mains qui tremblaient à cause du froid. On fuma en regardant les gens jouer au tennis, le temps s'allongeait, les balles flottaient dans les airs. Il avait mis de la musique, c'était du rap très doux.

Il me raconta : son père violent, sa mère dans le déni, il me raconta la longueur des jours, la lassitude, le désespoir parfois. Je m'excusai, je ne pouvais rien pour lui, je me sentais terriblement impuissante. Ses mots faisaient écho en moi, je le comprenais parce que je ressentais souvent ces émotions mais je ne savais comment y remédier. Il me demanda de lui confier ce qui m'habitait, mes hantises, "un jour je te  raconterais, promis mais pas maintenant, pas tout de suite, profitons du moment" . Il passa son bras autour de mon épaule, je posai ma tête sur la sienne, les jambes repliées contre mon ventre pour me tenir chaud. Je me sentais en sécurité dans ses bras, je ne m'inquiétais plus pour l'avenir car nous étions sur un petit nuage et plus rien n'existait que l'instant présent. J'aurais pu rester dans ses bras éternellement mais il a fallut retourner en cours. Nous nous sommes levés, mes membres étaient engourdis mais je nageais dans un océan de bonheur, j'étais heureuse de l'avoir à mes côtés parce qu'il ne se prenait pas la tête, il était simple, et parce que nous venions d'avoir une conversation profonde et intéressante et que c'était ça qui me faisait me sentir en vie.

Se sentir en vie. C'était quelque chose qui m'était devenu difficile dernièrement. Je ne pouvais pas me sentir en vie si je ne croyais pas en la folie. Mais j'avais peur de la laisser parler parce que je ne pouvais pas prévoir si laisser parler ma folie me projeterait vers l'extase ou me propulserait vers le néant.

J'avais aussi peur de la laisser parler, ma sœur ou parfois ma meilleure copine parce que je ne savais pas à l'avance si cela me permettrait de me sentir en vie ou si je me sentirais étouffée, ne respire pas mon air tu m'étouffes comme dirait Vald.

Comment se sentir vivant ? Une question de vie ou de mort. Faut-il rester dans les sentiers battus ou sortir des voies un peu traditionnelles ? S'épuiser au sport, s'affamer, se scarifier, consommer pour se faire croire qu'on est aussi plastiquement parfaites que les actrices de télé-réalité, que les mannequins des magazines, avaler des anti-dépresseurs et des anxiolitiques et tous ces médicaments aux noms hideux comme des pastilles pour la gorge, se faire vomir, passer des nuits d'oubli devant l'écran, fumer de la beuh à en être alzeimer, fumer de la beuh pour créer des conversations qui n'ont aucune limite, qui peuvent s'étendre à l'infini, qui ne peuvent être contraintes par le manque d'imagination, par la lassitude, aimer prendre des risques irraisonnés ou enfreindre la loi pour frissonner d'adrénaline, je me demandais où était la limite entre pratiquer ses comportements pour se sentir vivant ou les pratiquer par amour de l'autodestruction. Je cherchais sans cesse à me sentir vivante mais j'avais peur de finir par me détruire.

Le Poisson RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant