Chapitre 13

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Nous débarquâmes dans un port de Cancun. Nous nous baladâmes, la vue sur la mer était magnifique mais malheureusement de grands immeubles hôteliers surplombaient la jetée dégradant quelque peu le paysage. 

J'étais sonnée de voir autant de personnes à la fois, j'avais oublié que la mondialisation provoquait et normalisait une existence entassée. 

Un élan de nausée me prenait chaque fois que je posais le pied par terre et que le sol se dérobait sous ma voûte plantaire.

Après pérégrinations et palabres, nous dégotâmes un guide pour nous faire visiter les cénotes en plongée sous-marine. Nous entrâmes dans une première cavité couverte de stalactites. Nous suivîmes une pente douce qui nous immergea dans le bassin. Avant de plonger, il nous expliqua, dans un mélange d'anglais et de mexicain, comment utiliser l'équipement. Il parlait vite mais son expressivité et sa gestuelle marquées facilitaient l'apprentissage.


Bientôt nous étions submergés progressant dans des tunnels sans fond ponctués de grottes. De vagues silhouettes aux extrémités pointues comme le bonnet d'un lutin s'élevaient sous nos pieds. Nous flottions au-dessus de ce massif brumeux et comme une réalité parallèle, son reflet acéré descendait au-dessus de nos têtes. La vague menace venue d'en bas, se clairsema et nous posâmes nos pieds.  En levant la tête et en plissant les yeux, nous apercevions les cimes lointaines des stalactites qui s'étiraient vers nous.  Je me laissai remonter à la surface en regardant ce décor fantasmatique s'éloigner, j'aspirai une grande goulée d'air dans la bouteille à oxygène, les yeux encore écarquillés par la beauté. La vision enchanteresse se dissipant, ma mémoire se hâtait de la graver dans mon esprit comme futur refuge mental. Bien qu'intangibles, on s'y arrime solidement.

Nous prîmes la voiture pour rejoindre le port de Cancun. Notre guide avait poussé la musique et l'accélérateur à fond. Il semblait bien plus détendu qu'avant notre excursion. Il engagea la conversation d'un ton enthousiaste. Commençant, à juste titre, par la musique. Nous avions quelques références communes et appréciés : Dr Dre, Snoop ou encore Wu Tang Clan mais je ne connaissais pas la plupart des chansons qu'il passait, dont je m'empressais de raffoler parce que la nouveauté me stimulait, appréhender des sonorités seulement imaginées.

Il évoqua avec fougue sa passion intemporelle : la plongée. Dès qu'il avait su nager, son père l'avait emmené avec lui. Au fur et à mesure des descentes partagées, il lui avait appris à se repérer dans ce labyrinthe.

De notre traversée en bateau. La sensation d'être seuls et complètement coupés du reste du monde. Sensation singulière, dérangeante, au début, qui devenait ressourçante, puisque ce "vide" permettait de mettre de l'ordre dans ses pensées, laissait de la place et de l'énergie pour réfléchir à l'importance respective des préoccupations qui nous habitent au quotidien et ainsi prendre du recul par rapport à ces charges mentales.

Au détour de la conversation et sans préavis il nous invita à venir à une fête qui avait lieu sur la plage le soir-même.  Un peu pris au dépourvu Raphaël et moi nous jetâmes un coup d'oeil furtif avant que je n'accepte d'une voix chaleureuse pour pas qu'il ne percoive notre hésitation.

Nous rentrâmes au bateau pour nous préparer. J'étais surexcitée et en même temps j'avais le trac. J'étais comme ça, j'adorais rencontrer des gens, j'avais un amour pur et sincère pour eux et en même temps j'en avais peur et je m'en méfiais. Même parfois je les détestais, sûrement parce que j'en attendais beaucoup d'eux, je les surestimais et je n'étais pas prête à ce que mes attentes élevées soient déçues. Je partageais mes impressions avec Raphaël, il tentait de comprendre mais je vis bien à son regard qu'il trouvait que je me prenais la tête. Tant pis, j'étais habituée à me sentir étrange, décalée. C'était aussi cela dont j'avais peur : me sentir isolée dans la foule. L'un des pires sentiments à mes yeux, sentir que tu n'as pas ta place, que tu n'es pas légitime. Puis laisser le terrible doute s'insinuer en toi, s'enraciner, te pourrir, laisser la petite voix douceureuse te souffler que tu n'es pas à la hauteur de ceux qui t'entourent et qu'encore, toujours, malgré tes efforts tu es incapable de t'intégrer. J'avais besoin de me prouver que j'en étais capable pour réparer le passé, pour réparer l'époque durant laquelle ma timidité était maladive.

Un feu crépitait au loin sur la plage, autour étaient installés des silhouettes sombres, un joyeux brouhaha accompagné de quelques notes de musique indistinctes s'élevait de cette masse informe, sombre et lumineuse. Nous nous approchâmes et à peine étions nous arrivés à leur hauteur qu'ils nous enveloppèrent de leur bavardage bienveillant. Je constatais avec joie que leur amour chaleureux emplissait d'une douce plénitude mon affreux et constant vide habituel. Je me liais rapidement d'amitié avec Miguel. Sa peau dorée, ses yeux brillants et ses bouclettes brunes irradiaient. J'avais l'impression de discerner l'existence d'une affection prononcée à mon égard car ses yeux étaient tour à tour moqueurs, rieurs puis attendris lorsqu'ils se posaient sur moi. Ses mains dansaient au son de sa voix, au rythme de ses mots. Illustrant gracieusement ses propos et favorisant ma compréhension de son rapide et chantant espagnol.

Au long de la conversation, mes yeux papillonaient vaguement sur les personnes présentes lorsqu'ils n'aggripaient pas ceux de mon interlocuteur. Soudain je me sentis agressé par un regard incendièrement acide. Les iris déformément abrasives, Raphaël me fixait.

Je choisis d'ignorer ce présage désagréable. Sa démonstration de jalousie était puérile.

Mais plus la soirée avançait plus son regard se faisait insistant et je sentais que certaines personnes commençaient à le remarquer provoquant chez moi une gêne diffuse qui ne faisait que s'intensifier. Parallèlement à cette première émotion, les substances combinées au regard de Miguel m'électrisaient créant un cocktail hétérogènement dégénératif.

Ma paranoïa s'aiguisa et l'impression d'être au centre de l'attention se faisait de plus en plus pressante. Les mots me manquaient, ma vue était imprégnée de tâches jaunes en surimpression, le vacarme environnant était assourdissant.
"Hay demasiado ruido. Soufflais-je à Miguel d'une voix éteinte.
-Te sientes bien ? Quieres mover ?"
Comme je ne répondais pas, je sentis son cou se glisser sous mes épaules et sa main attraper la mienne.

Quand je repris conscience j'entendis d'abord le bruit de l'eau assez proche, puis je sentis le contact tiède et doux du sable contre mon dos, mes épaules. Mes pieds étaient posés sur les cuisses de Miguel surélevant ainsi mes jambes. Je croisai son regard doux et enveloppant.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 27 ⏰

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