La porte verte reluisait dans les derniers rayons du soleil, le carillon d'étain tinta dans l'entrée. Cosme entra, sa sacoche de cuir usée pendant à sa taille, il retira sa casquette gavroche et la suspendit au porte manteau ;c'était là qu'il vivaient, lui sa mère et ses deux sœurs jumelles Suzann et Edith; tellement identiques que s'en était presque terrifiant.
Le poste transistor débitait une mélodie ponctuée de grésillements incessants. Monica se tenait bien assise à la table en face de la petite fenêtre garnie de rideaux en tricot blanc, ses ongles vernis de jaune posés sur la nappe déjà jaune de la cuisine. Elle adorait le jaune c'était une manie chez elle, il fallait qu'il y en ai partout.
Elle leva le nez et cessa un instant de fixer ses mains. Son visage trahissait sa lassitude de vivre, ses cernes ombrés signe qu'elle dormait peu mais pourtant, elle gardait toujours un chignon tiré à quatres épingles et une jupe qu'elle lissait de ses mains.- Oh, tu es rentré. Mais quelle heure est il ? Peut importe, l'essentiel est que tu sois bien là !
- J'étais seulement sorti répéter à la compagnie de théâtre maman. Ils m'ont donné le premier rôle; Cosme s'approcha de Monica mais glissa entre eux une distance.
Monica regardait par delà la fenêtre tout en mordillant sa lèvre inférieure peinte d'un voluptueux rouge carmin. Subitement, elle détacha ses yeux du dehors et daigna à nouveau regarder son fils.
- Viens donc m'embrasser enfin, ne reste pas planté ici à me fixer avec cet air de demeuré voyons. Nous avons reçu du courrier aujourd'hui, des nouvelles d'Espagne.
Cosme avait toutes peines du monde à s'exécuter en toute bonne conscience. Monica se mit alors à se balancer sur la chaise en fer, menaçant de tomber sur le carrelage à tout moment, ses jambes tortillées dans les volants sa robe.
- Tu te fiches de moi maman ?; Cosme regarda d'un œil sévère le verre de vin vide renversé dans l'évier et la bouteille de rouge entamée sur le rebord de l'étagère.
Monica se leva, tanguant à moitié, le cadran de l'horloge indiquait dix-neuf heure passée.
- Oh ne recommence pas à me faire la morale, c'est moi la mère ici. Je me suis accordée une petite pause, tout va bien. Les filles s'amusent dans leur chambre et moi je me détends. Nous attendons quelqu'un ce soir.
Cosme haussa le ton brusquement :
- Nous n'attendons plus personne depuis bien longtemps que papa est mort bon sang !
Monica se dirigea vers le frigidaire alors que son fils parlait de plus en plus fort, se tenant maladroitement à la tapisserie fleurie, en prenant bien soin de ne pas trop y poser ses ongles manucurés.
- Je vais vous le prouver à tous que je suis une mère exemplaire j'en ai assez des reproches des hommes, je vais cuisiner ce soir.; elle se pencha et sortit un plat sous vide et quelques boissons; Edith !Suzann ! À table !
Cosme serra la mâchoire. La mère exemplaire qu'il avait connu s'était estompée avec la mort de leur père lors de la guerre en 1938, deux ans auparavant. Depuis, ils avaient quitté Madrid pour les états-unis et plus rien n'allait.
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Dans l'allée qui menait hors de la gare, Kaia traînait sa lourde valise. Les rues de son nouveau chez soi ou nulle traces de la guerre ne régnaient, ou chacun glissait son cabas derrière soi insouciamment, tout cela la troublait et la rendait heureuse. La guerre était derrière elle à présent, elle se mit à rire et courut dans la rue sous les regards épouvantés des grandes dames rattrapant à la hâte leurs chapeaux. Elle salua dans sa course effrénée la boulangère qui rentrait sa farine et s'excusa auprès d'un enfant qu'elle venait de bousculer, ses bottines crissaient sous ses pas et son béret était de travers. Voyant le regards ébahi des gens sur elle et le tintamarre qu'elle causait, elle se remit à marcher normalement et se promis de garder cette énergie pour enlacer sa mère à qui elle avait envoyé une lettre pour la prévenir de son arrivée. Elle lui avait tant manqué. A force de rêveries elle s'était bien éloignée de la gare, elle consulta alors l'adresse donnée par sa mère dans sa dernière lettre. Kaia aborda un jeune mécanicien surpris de la voir s'adresser ainsi peu gênée à un homme :
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Les Phénomènales
Short StoryHollywood, 1940. Il faisait chaud, le soleil illuminait les carrosseries flamboyantes en bas de la rue, dessinant des astres éphémères sur le haut des verres de vin dans les vérandas, les jardins. On se bouscule au théâtre et l'on tombe amoureux com...