Chapitre 1

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Samedi 18 novembre :

Aujourd'hui, maman est guérie. Eh oui, j'ai plus de chance que Meursault ! Un hommage à Camus pour commencer, lui qui m'a fait découvrir la littérature lorsque j'étais adolescent. J'ai été accaparé par L'Étranger. Je l'ai lu par choix d'après une liste proposée. C'était le moins épais de cette énumération de livres. Ce roman m'a énormément touché, est-ce que je l'ai compris ? Est-ce que j'étais en mesure de tout interpréter à cette période-là ? Cette solitude que je vivais, ces sentiments d'ignorance, cette timidité extrême, ce renfermement complet sur moi-même. Je me suis senti comme Meursault, incompris et rejeté, donc sans aucune possibilité d'exprimer un seul sentiment ni même de le laisser paraître. Juste l'impression de subir les événements, d'en accepter la fatalité et de n'avoir aucune influence sur le milieu dans lequel je grandissais.

Mon père vient de m'annoncer : « Voilà, ta mère n'a plus de traces de cancer, hein, Danielle ? »

Juste un petit signe de la tête de maman, plus de cancer, mais toujours plein de douleurs, de torsions internes et de discussions interminables sur ce satané crabe.

Plus de traces de quelque virus que ce soit, plus de tumeur. Elle est donc en pleine rémission, et doit se remettre de ces presque sept mois de souffrance, de questionnements, de doutes.

Ces sept mois que j'ai traversés sans montrer d'émotions, sans beaucoup de questions. Je me suis senti complètement impuissant, totalement démuni. Dans l'impossibilité de faire quoi que ce soit, une inaptitude à communiquer avec ma mère. Si je lui ai rendu visite quelquefois, il n'y avait cependant que très peu de dialogue. Les murs blancs, ce silence pesant et cette chaleur m'étouffaient. Aucune faculté pour exprimer quoi que ce soit, aucun questionnement, aucune idée de conversation et elle, presque dans l'impossibilité de parler.

Cette mère qui se trouvait là sans aucune capacité de se défendre, épuisée par toute cette douleur qui s'était abattue sur elle. Lassée de tous ces médicaments, de toutes ces manipulations, tous ces soins, ces sédatifs ... Et tout cela n'est pas encore fini, toujours ces inflammations de la gorge, cette trachée complètement brûlée, cette impossibilité de se nourrir, de goûter quoi que ce soit. La nourriture : des mois sans ressentir aucune saveur, toujours des sondes dans tous les sens. Et moi, je ne sais pas quoi faire pour qu'elle aille mieux, je dois subir et j'accepte cette situation.

Maman que j'avais vu si forte, qui avait élevé si fièrement ses quatre enfants. Mariée très jeune, dès dix-huit ans à Claude qui l'a propulsée très rapidement dans le monde des adultes, tout de suite la responsabilité d'un foyer et très rapidement la première grossesse et la naissance d'Evelyne. Evelyne est un beau bébé bien constitué, elle reçoit pleins d'attentions dès lors qu'elle voit le jour, d'innombrables visites pour ce premier bébé de la famille, l'admiration de tous, des présents, du rose et surtout du Bonheur. La tapisserie aux décors pour enfant et la peinture fraîchement refaite... sa chambre est prête à l'accueillir.

Le jeune couple s'est installé à Chateaubriant dans une petite maison de ville avec une cuisine et un coin salon au rez-de-chaussée et deux grandes chambres à l'étage. A l'arrière il y a un petit jardin, juste assez de place pour installer une balançoire, planter quelques fleurs et aménager un potager. Tout est idyllique ! Un jeune couple avec un enfant, un travail pour se nourrir et un beau petit nid ! Cependant très vite, un sentiment de solitude s'installe. Cet emménagement est à plus d'une heure de route de chez ses parents, donc plus de famille proche, plus d'amis pour l'accompagner dans cette nouvelle vie.

Papa travaillait dur dans une petite usine de décolletage, il fabriquait des vis, des écrous, des axes, des pistons, des pignons ... Il tentait de faire sa place dans cette entreprise, avec un intérêt très prononcé pour la mécanique, il déchiffra le fonctionnement des décolleteuses, il se spécialisa dans leur réglage, puis les réparations et enfin la maintenance. Ces nouvelles responsabilités l'obligeais à travailler davantage et avec de plus en plus de contraintes. Il pouvait être appelé lors de ses jours de repos pour résoudre des pannes. L'usine s'est développée, l'équipe de maintenance s'est étoffée, mon père a pu ainsi déléguer ses taches et de consacrer du temps à son foyer.

Beurre ou confiture ?Where stories live. Discover now