OS 7 : Bleu nuit -partie 1-

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Au-dessus de moi, la Lune m'observe. Elle me connaît, elle m'a déjà vue arpenter ce petit chemin. Elle sait où je vais. Elle le sait même mieux que moi. J'avance lentement, mes pieds s'enfonçant dans le sable humide du sentier. Mes pas sont rythmés par les battements de mon cœur qui résonnent en moi. Les larmes coulent de mes yeux, et pour une fois, je ne les retiens pas. Le vent les emporte loin derrière moi. Je fais taire mes pensées derrière les hurlements du vent, auxquels se joint bientôt le rugissement des vagues. Je suis arrivée en haut de la falaise. L'océan s'étend devant moi, immense, imposant. Les rouleaux viennent s'écraser au pied de la paroi, essayant en vain de la faire tomber. J'admire ce spectacle, que je connais pourtant par cœur. Je laisse mon esprit se noyer dans l'immensité de la mer, et je ne fais même plus attention aux larmes qui dévalent mes joues. Un instant, le temps d'une seconde, je goûte la sérénité. Cette impression d'être minuscule, une poussière dans l'immense univers. Cette sensation d'être écrasée par les étoiles, d'être perdue au milieu de la mer, de n'être plus rien, de ne plus rien ressentir. Mais ce moment de paix ne dure pas. Le poids de mon cœur s'impose dans ma poitrine, dans mon corps. Mes jambes flanchent, et je m'enfonce durement dans le sable. Mes pleurs redoublent, mes sanglots déchirent le silence de la nuit. Je me recroqueville sur moi-même, je m'enferme dans une bulle infranchissable, comme j'aimerais enfermer mes émotions dans une boîte. Une image d'une bouteille jetée à la mer me traverse l'esprit. Une bouteille ballottée par les vagues, un appel à l'aide. Je renverse la tête en arrière et adresse un sourire triste aux étoiles. Elles ont dû en voir, elles, des appels à l'aide. Observatrices silencieuses des plus sombres secrets, elles savent où les larmes ont coulé. J'essuie mes joues mouillées, mais je n'arrive pas à m'arrêter de pleurer. Les larmes coulent, chargées de tous mes sentiments. Ce soir, je pleure pour toutes les fois où je n'ai pas pleuré. Je sens mon cœur lourd se vider de tout mes maux. La tristesse, la déception, la rancœur, la peur, la culpabilité... Toutes mes émotions m'ont étouffée pendant trop longtemps, ce soir je ne les retiens pas. Je laisse mon cœur se remplir, je laisse mon corps et mon esprit être noyé dans mes larmes. Ce soir, je ne suis plus qu'une enveloppe de chair qui contient l'orage, le tsunami, la tornade, prêts à me briser et à dévaster la terre. Mais je sais qu'il n'y a pas que moi qui suis brisée.

Le visage d'une jeune fille apparaît devant mes yeux. Deux yeux bleus, de longs cheveux blonds, magnifiques autrefois, ternes à présent. Elle me regarde avec un mélange de haine et d'admiration. Je ferme les yeux, refusant de la voir. Je ne veux pas penser à elle, je ne veux pas me souvenir d'elle. Je veux qu'elle disparaisse, qu'elle parte, qu'elle me laisse. Mais je sais qu'elle ne le fera pas. Elle continuera d'être là, d'apparaître devant moi, de me regarder avec le même regard, toujours. Elle restera silencieuse, debout à l'entrée de ma salle de classe, assise dans le réfectoire, me suivant à la trace où que j'aille. Elle ne dira jamais rien. Elle n'en a pas besoin. Son silence fait plus mal que tous les mots qu'elle aurait pu dire. J'ai envie de hurler, de crier, pour la faire fuir. Mais je sais que ce n'est pas la bonne solution. Il n'y a qu'un moyen de la faire partir. Je sais ce que je dois faire. Difficilement, je me relève. Le souffle court, j'essaie de trouver le courage dont j'ai besoin, mais en vérité, ce n'est pas le courage qui me pousse, c'est le désespoir. Mes jambes tremblent, mais je tiens bon. Je me redresse, trouve mon équilibre, et j'avance vers le bord de la falaise. Mon corps tremble, il voudrait s'enfuir, loin, échapper à ce qui l'attend. Mais j'avance, un pas après l'autre, vers l'océan qui s'étend devant moi. À présent, plus aucune larme ne coule de mes yeux. J'ai l'impression d'être anesthésiée, d'être enfermée dans une bulle. Je n'ai plus conscience de ce qui m'entoure, la seule chose que je vois, c'est l'immense océan sous mes pieds. J'arrive au bord de la falaise. Il n'y a que quelques centimètres qui me séparent du vide.

J'inspire. Je sens l'oxygène remplir mes poumons, alimenter mon corps. J'expire. Le dioxygène quitte ma poitrine. Je sens les battements de mon cœur dans tout mon être. Réguliers. Ce cœur qui a tant supporté, sans jamais cesser de battre. J'ai l'impression de tout ressentir plus fort. Je regarde encore une fois le vide. Je dois le faire. Je le sais. Je n'ai pas le choix. Mon regard se perd dans les vagues. Ce soir, la mer est agitée. Les vagues sont grandes, puissantes. Elles se soulèvent les unes contre les autres, elles s'écrasent contre la falaise. J'aperçois, en longeant l'à-pic sur la droite, une petite plage. Elle est inaccessible par la terre, et les vagues viennent calmement mouiller son sable fin. J'observe longuement cette plage, coupée du monde, seulement accessible pour l'océan. Mon regard est attiré par une forme sur un des rochers de la plage. Une silhouette humaine. J'essaie de mieux voir cette personne, mais quand elle tourne la tête vers moi, je me fige. Je sens des gouttes de sueur froide couler le long de mon dos, sur mon front. J'essaie de me convaincre que je rêve. La personne est à présent debout sur le rocher, les yeux fixés sur moi. Je sais ce qu'elle fait. Elle attend de voir si je peux le faire. Parce que c'est elle, je n'ai plus aucun doute. Je pourrais reconnaître ces cheveux blonds à n'importe quelle distance. Elle attend. Elle m'attend. Elle veut voir si je peux le faire, comme elle l'a fait. Elle veut me voir sauter.

Éclats.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant