Quête 1 : Un étudiant

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Le mois de novembre débutait et j'avais sorti mon écharpe pour la première fois. Le nez bien au chaud, je marchais depuis plus de vingt minutes tout en surveillant le forum de Quests.

Peu sociable, me pencher sur mon téléphone me permettait d'oublier le monde qui m'entourait. Volontaire et enjouée sur Quest, je devenais d'une timidité maladive en franchissant le seuil de ma maison. La rue et la vie réelle m'avaient toujours semblé hostiles contrairement au confort de ma chambre et de mon ordinateur.

J'aperçus enfin les derniers étages des bâtiments universitaires alors que je dépassais un parc toujours bondé le soir par les maîtres et leur chien. À quelques mètres de la porte d'entrée, je pris le soin de m'écarter légèrement des étudiants qui couraient afin d'arriver à l'heure. Je me savais pas vraiment en avance mais cela me permettait d'éviter la cohue qu'il y avait toujours à huit heures à cause de l'arrivée du train à quelques mètres de là. Je connaissais par coeur les heures creuses comme quelqu'un peut connaître les goûts de sa meilleure amie.

Un étudiant, que je n'avais pas remarqué jusque-là, marchait à mes côtés cahin-caha, une console à la main. Il semblait ralentir sa marche pour gagner davantage de temps avant le début des cours. J'accélérai le pas pour le doubler. Je me levais plus tard pour être seule sur le chemin des études et non pas pour avoir un acolyte à mes côtés.

Je dus m'arrêter devant la porte coulissante le temps qu'elle détecte ma présence et s'ouvre de nouveau. Lorsque je reçus un léger coup dans le dos, je me retournai, hésitante.

Le jeune homme que j'avais doublé venait de me rentrer dedans... Il releva la tête dans ma direction et s'excusa d'un sourire.

- Je ne t'avais pas vu, désolé.

Je ne lui répondis pas et me contentai d'éviter son regard en baissant les yeux vers le sol. Je n'aimais pas vraiment que l'on me porte de l'attention.

- Armin ! s'écria une voix dans mon dos avant que je sois prise dans une tornade.

Le dénommé Armin m'était de nouveau rentré dedans alors qu'une personne similaire, voire identique, le tapait de manière peu amicale.

- Tu aurais pu chercher les clés de l'appart' avec moi au lieu de partir ! En plus, elles étaient sous tes fringues, dans le bordel qui te sert de chambre !

Le jeune homme à la console évita les coups suivants de celui qui semblait être son jumeau.Je pris discrètement la direction du couloir de peur d'y risquer ma vie tranquille sans remous. Enfin débarrassée des étudiants bruyants, je décidai de passer par les toilettes avant de filer à mon premier cours sur "les relations sociales". "Ironie du sort", pensai-je alors que je m'observais dans le miroir tout en me lavant les mains. Une fois de plus, j'avais délaissé le maquillage pour utiliser ma frange mal coupée comme barrière face au reste du monde. Elle descendait sur mes yeux bleus et les cachait à moitié. Tant que mon front est bien caché, tout va bien, constatai-je.

Je sortis de la pièce pour me rendre dans ma salle de classe lorsque j'entendis les mots "Quests of the legendary". Curieuse à l'évocation de ce jeu que je connaissais mieux que personne, je me surpris à écouter la conversation de deux élèves traînant dans les couloirs.

- Je suis un Démon-Loup ! Tu ne vas quand même pas rester avec ton mage des ténèbres ? s'offusqua l'un d'eux.

Un léger sourire se dessina sur mes lèvres. J'aimais entendre la popularité de ce personnage sur le jeu. Il avait fait le buzz à sa sortie il y a quelques mois et la plupart des joueurs l'avaient adopté rapidement bien qu'il soit difficile à manier. Sous le pseudo de Lyrine, je n'étais pas une originale. Le Démon-loup faisait partie de mon top un de mes personnages préférés.

Heureuse du succès qu'il avait reçu, une petite pensée s'envola pour Mélodie. Elle devait être si fière de faire partie de l'équipe de Quests, ce jeu qui avait fait la une des informations du vingt-heures un mois après sa sortie. Je me souvenais encore du titre choisi par les journalistes : le nouveau phénomène du web.

- Ce n'est pas parce qu'il est populaire qu'il est bon !
- Tu plaisantes ? Même Graegor et Armand l'utilisent !


Et si un jeu devient populaire, certains joueurs aussi ! Ces deux pseudos étaient connus par l'ensemble de la communauté pour la simple et bonne raison qu'il s'agissait des deux français les mieux placés dans le classement international comprenant pas moins d'une centaine de pays.

L'étudiant qui n'était pas de l'avis de son copain souffla bruyamment ce qui me sortit de mes songes. Peut-être était-il agacé ?

Les deux jeunes hommes s'éloignaient et la conversation ne parvenait plus à mes oreilles. Je me détachai du mur et pris la direction, à contrecoeur, de ma salle de classe qui me tendait les bras.

- Je ne t'avais jamais repéré jusqu'à présent et on se croise deux fois en quelques minutes, sourit l'élève qui m'avait bousculé en arrivant.

Bien trop attentive au jeu auquel je vouais presque un culte, je ne m'étais pas rendu compte de sa présence. Quelques options se présentèrent devant moi : le fuir en rentrant dans ma classe, le fuir en paniquant, baisser la tête en attendant qu'il s'en aille de lui-même.

Paralysée d'avoir attiré l'attention, la solution s'imposa d'elle-même. Je baissais la tête, attendant qu'il s'en aille. Mais... ce fut sans compter son libre arbitre, sa curiosité avait visiblement pris le dessus.

Je reculai d'un pas après analyse de ses mouvements vers ma personne. Voyant que je le fuyais, il hésita à continuer sa démarche.

- Je te fais peur ? demanda l'inconnu qui me dévisageait.

Je hochai la tête en priant pour qu'il me laisse tranquille. Alors que je m'attendais à ce qu'il batte en retraite, sa mine étonnée se transforma en un sourire lumineux. Puis, il reprit son sérieux avant de... me tapoter le sommet du crâne.

Stupéfaite, je ne remuai plus d'un pouce.

Il éclata de rire à ma réaction.

- On dirait que tu es flippé ! Je ne vais pas te manger !

Alors que je clignais des paupières afin de comprendre la situation, il fila en cours. Je n'avais pas eu le temps de réagir. Je rougis légèrement en comprenant le sens de la conversation que nous venions d'avoir. Il avait voulu faire ma connaissance ?

L'information était difficile à assimiler. Plusieurs secondes passèrent sans que je ne bougeais, ne serait-ce que le petit doigt.

Finalement, je me convaincs d'entrer dans ma salle de classe afin d'éviter de me faire remarquer davantage. Ce fut avec regret que je constatai toutes les têtes tournées dans ma direction. Je baissai la mienne, ne sachant comment me comporter face à l'attention que l'on me portait. Je me maudissais de ne pas avoir utilisé l'invisibilité dont j'aurais pu bénéficier en pénétrant dans la pièce en même temps que le jeune homme... Ils n'auraient vu que lui.

                                                                            


Coupe ta frange MiraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant