Quête 4 : Réticence

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Alors que je me rendais en cours, un sms de Petite-Elfe m'apprit qu'Armand allait devoir arrêter de participer au jeu en mode "Combat". Je souris légèrement, ça lui apprenait à être meilleur que moi sur Quests ! À cette moquerie à son égard, je compris que je n'avais pas complètement abandonné l'idée de gagner des places dans le classement international. Je devais désormais être placée trente et unième et ce n'était pas pour me déplaire...
Désormais administrateur, il ne pouvait plus figurer dans le top 100, autrement dit, on ne pouvait pas être salarié pour l'entreprise et être considéré comme un joueur. Pour cette raison, mon rôle de modératrice était des plus bénéfiques. J'avais une relation étroite avec les administrateurs, connaissant à certains moments les nouveautés à l'avance, tout en participant aux batailles classées.

Je relevai les yeux de mon téléphone pour me rendre compte qu'il était moins une avant que je prenne le réverbère qui traînait sur mon chemin. Deux passants me regardèrent étrangement comme pour me gronder d'être une de ses étudiantes connectées vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sous leurs pupilles acerbes, je me renfrognai et accélérai mon pas.

Je n'avais rien contre Armand mais la pensée que l'équipe de Quests puisse changer me déplaisait. Je n'aimais pas le changement et je me confortais dans l'idée que seules mes habitudes pouvaient me rendre heureuse. Sa venue soudaine avait chamboulé mon quotidien et je m'étais mise à le détester... sans compter son mail où il parlait des études... ma mère me suffisait bien...

L'université s'approcha plus vite que je ne l'avais espéré. L'établissement se dessinait devant moi alors que je me rapprochais de l'interminable allée piétonne. Celle-ci reliait la gare des trois bâtiments dédiés au cours et de la bibliothèque universitaire.
Parmi les étudiants assis sur les rebords en béton qui entouraient les parterres de fleurs dépouillées de leur couleur printanière par la saison hivernale, je reconnus le brun d'hier. Jusqu'à présent, je ne m'étais jamais arrêtée pour faire attention à quelqu'un mais la rencontre, si anodine soit-elle, m'avait marquée. Je n'avais pas l'habitude que l'on m'aborde et encore moins de cette façon. Je pris le temps de le détailler du regard. Penché sur sa console, une jeune fille aux cheveux roux essayait d'appuyer sur l'un des boutons, l'empêchant de se concentrer. Il la repoussa gentiment en se moquant alors qu'elle recommençait.

Lorsque mes pupilles croisèrent celles de son frère, je déglutis. Il s'était aperçu que je les fixais. Sans faire attention aux deux derniers étudiants du groupe, je les dépassai mais le jumeau aux cheveux bleus m'arrêta dans mon élan.

- On s'est croisé... non ?
- Tu dragues les étudiantes, maintenant Alex' ?
s'amusa un des deux autres étudiants fumant une cigarette.

Son voisin aux yeux vairons lui attrapa et en pris un bouffé. Ensemble, ils formaient une bande de cinq personnes mais je compris rapidement qu'ils étaient, en réalité, sept lorsque deux jeunes femmes les rejoignirent.

Ma gorge se noua, mal à l'aise autant par leur nombre que par les paroles prononcées par le rouquin.

- Tu sais très bien que c'est pas mon bord, répliqua le frère du brun.

Stressée, je remarquai que le dénommé Alex ne lésignait pas sur les accessoires tape à l'oeil à l'inverse de son frère. Il portait des lentilles roses, je supposai que se faire remarquer n'était pas un souci pour lui.

- Tu es la fille d'hier ! s'exclama le brun qui avait reporté son attention sur la discussion et non plus sur sa console.
- La fille d'hier ? l'interrogea son jumeau.
- Je me suis cogné contre elle puis on a fini par se recroiser dans les couloirs, expliqua Armin.

Les étudiants avec eux venaient de tourner leur regard dans ma direction et être le centre de l'attention commençait à m'embarrasser. Ma respiration se fit plus courte et je tournai les talons pour filer. Au fur et à mesure que je m'éloignais, mon pas s'accéléra. Je les entendais m'appeler mais je ne m'arrêtai pas, l'angoisse me prenait les entrailles alors que je fendais la foule devant mon bâtiment.

Lors des premiers jours à l'université, je m'étais mise en tête de me balader dans les couloirs entre midi et deux afin de connaître les passages les moins fréquentés. Sans tarder, je me dirigeai hâtivement dans leur direction pour être tranquille le plus rapidement possible. Enfin à l'intérieur, j'entendis quelqu'un héler une autre personne. Je me retournai furtivement pour finalement comprendre que la jolie rousse me poursuivait. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale de bas en haut et j'accélérai le pas en prenant le couloir le plus proche. J'ouvris la première porte et la refermai derrière moi. Essouflée, je reculai et fixai la poignée, angoissée qu'elle puisse venir jusqu'ici.

La poignée s'inclina vers le sol et la jeune femme se posta dans l'entrebâillement de la porte.

- Je... commença-t-elle.

Dans un mouvement incertain, la rouquine s'arrêta et sembla s'attarder sur un point sur le sommet de mon crâne.

- Tu... changea-t-elle.

Cet échange de pronom et d'attitude me fit comprendre qu'elle n'allait pas dire la première chose pour laquelle elle était venue.

Le silence installé, je remontai lentement ma main vers ma frange. Lorsque mes doigts glissèrent sur la peau irrégulière de mon front, je détournai le regard et baissai la tête. Mes cheveux ne cachaient plus ma cicatrice...

Mes muscles se détendirent petit à petit alors qu'une expression lasse s'affichait sur mon visage. Toute ma nervosité envolée, j'abandonnai ma fuite. Elle avait vu ce qu'elle ne devait pas et la machine à remonter le temps n'avait toujours pas été créée. Pourquoi faut-il toujours que ça finisse par arriver ? pensai-je, les yeux dans le vague.

Le frottement de son jean brisa le silence alors qu'elle s'avançait dans ma direction. À ma portée, elle glissa son poing fermé sous mes yeux.

- Tu avais perdu ça, dit-elle en l'ouvrant sur mon porte-clé en fourrure.

Une petite tête de loup en métal sortait de la boule formée par les poils.

Je relevai mes pupilles vers les siennes, étonnée. Elle s'était de nouveau murée dans un silence alors que j'attrapais ce qui m'appartenait, toujours perplexe qu'elle n'enchaîne pas sur ma cicatrice. Le petit objet entre les doigts, je ne pouvais pas m'empêcher de scruter son visage guettant une quelconque expression de curiosité.

- Je suis contente de t'avoir rattrapée, dit-elle avant de montrer la sortie du doigt. Mes amis doivent m'attendre. Peut-être... à une prochaine fois ? tenta-t-elle en souriant.

Plantée dans la salle de classe, je l'observai s'en aller sans ciller. Lorsque je reportai mon attention sur le porte-clé, je vis qu'il s'était cassé au niveau de la fermeture. Je le glissai dans la poche de mon jean et pris la direction des cours. Une fois de plus... j'étais en retard...

Le reste de la journée se déroula sans autre interruption. Enfin chez moi, j'ouvrai mon portail et me dépêchai de rentrer. Je passai rapidement par la cuisine pour attraper un paquet de Mikado puis, filai à l'étage. Enfin dans ma chambre, j'enlevai mon sweat, débranchai mon ordinateur portable et l'embarquai dans la salle-de-bain.

Consciencieusement, je le posai sur la machine à laver en hauteur puis mis en route une playlist Youtube. Comme la précédente, cette journée avait été éreintante... Je ne souhaitais qu'une seule chose, fondre dans l'eau chaude et devenir de la guimauve fripée par l'immersion prolongée. Ce fut sur cette pensée que je mis le bouchon en place au fond de la baignoire tout en ouvrant le robinet. Pendant que l'eau coulait, je me déshabillai complètement. Lorsque je m'attaquai à mon pantalon, le porte-clé tomba de ma poche sur le carrelage blanc. Je le ramassai avec nostalgie pour finalement le poser à côté de ma serviette sur une chaise en plastique transparent.

Enfin dans ce qui me provoquait du réconfort, je me mis à observer, songeuse, ce que la jeune femme m'avait rendu à l'université. La tête penchée sur le rebord de la baignoire, je fermai les paupières. Le comportement qu'elle avait eu à mon égard me semblait si inhabituel... Attendait-elle un retour ? Lui devais-je quelque chose en-dehors de ma reconnaissance ? Mes pensées volatiles se dispersèrent tandis que je me laissai glisser dans l'eau. Je prenais rarement des bains mais le besoin s'était fait ressentir... Les deux dernières journées avaient été particulièrement surprenantes et stressantes. On m'avait adressé la parole et ce, à plusieurs reprises sans compter le nouvel administrateur qui faisait des siennes sur Quest...

Au bout de plusieurs longues minutes, je me redressai pour regarder mon portable sur la chaise. Je paressais déjà depuis une demi-heure... À contre-coeur, je sortis, me séchai puis enroulai la serviette autour de mes cheveux.

L'ordinateur dans les mains, je retournai dans ma chambre. En pyjama alors qu'il n'était que dix-sept heures, je cliquai sur le forum de Quests et me penchai sur un nouveau post qui venait d'apparaître dans nos parties privées :


Coupe ta frange MiraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant