Quête 3 : Une mère

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Sur le profil du nouvel administrateur, j'observais les derniers résultats de ses combats. Sur les dix derniers jours, il ne possédait qu'une seule défaite. Il n'était pas célèbre sur le jeu sans raison et sa septième place dans le classement international n'était pas volée. Sur des millions de joueurs par mois, son pseudo revenait fréquemment.

Depuis ma promotion en tant que modératrice, je n'étais plus aussi intéressée par le haut du classement. Quelque part, je cherchais toujours un peu cette reconnaissance de popularité sur ce jeu que j'affectionnais tout particulièrement, mais mon avis avait radicalement changé ces dernières années. En effet, faire partie du top 100 voulait dire être contactée pour la Paris Games Week et pour des tournois en direct. J'évitais la foule comme la peste et déclinais les invitations envoyées par les Admins depuis quelques années.

Grâce à ma trente-deuxième place dans le classement international, je connaissais assez bien le jeu imprévisible d'Armand et ce soir, j'étais très honorée de m'être faite littéralement exterminée par un joueur plus fort... Que nenni, en réalité...j'avais verrouillé mon écran, agacée, une mine boudeuse sur le visage.

Je ne tins pas longtemps et me résignai en soupirant à rallumer mon ordinateur. Son profil devait bientôt s'actualiser pour prendre en compte les points marqués lors de notre bataille. J'appuyai sur la touche F5 et la page se rafraîchit. À la vue de sa nouvelle place, je m'affalai complètement désespérée sur mes couvertures. Il venait de gagner une place grâce à ma défaite ! Désormais sixième, je le maudissai.

Seul le mode "combat" permettait de gagner des points pour figurer dans le classement à l'international. Au total, il y avait trois modes de jeu :

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- Le mode "combat" : consistait à batailler contre un seul adversaire ou plusieurs. Ces parties se jouaient en ligne.

Au sein de ce mode, il existait plusieurs types de jeu :
● 1 contre 1 (ou mort subite)
● 2 contre 2
● 3 contre 3
● 4 contre 4
● 5 contre 5
● 6 contre 6

La première équipe à mettre tous les joueurs adverses K.O en même temps gagnait. Tout résidait dans la stratégie et sa mise en oeuvre afin que les personnages ennemis ne se régénèrent pas entre temps.
En effet, lorsqu'un avatar mourrait, il avait un certain temps de régénérescence avant de reprendre le combat. Chaque personnage possédait une durée différente en fonction de sa force et de ses capacités.

Le ratio victoire/défaite permettait de calculer le niveau du joueur. Il existait plusieurs paliers, plus un membre gagnait, plus il augmentait de classe. Une fois un échelon atteint, le joueur ne pouvait plus en redescendre même si, par la suite, ses défaites devenaient plus nombreuses que ses victoires.

- Le mode "versus bot" : Du même style que le mode "combat", les joueurs affrontaient des bots (personnages non-joueurs ou intelligence artificielle). Aucun point ne se gagnait lors de ces parties, même en cas de victoire. Les membres utilisaient ce mode pour maîtriser un nouveau personnage.

- Le mode "quêtes" : Ces dernières permettaient de gagner des objets exclusifs.

Exemple de quête :
- Grimper un échellon
- Gagner avec le Magicien des ténèbres
- Avoir 365 jours de connexion
- ...

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Toujours étalée sur mon lit, j'observai mon plafond blanc cassé. Dépitée, je n'entendis pas tout de suite le bruit des couverts qui s'entrechoquaient au rez-de-chaussée.

Lorsque ma mère m'appela pour l'heure du repas,je basculai la tête sur le côté pour regarder mon téléphone qui ne s'était pas mis en veille. Il était bientôt vingt et une heure. Je me levai et sortis de ma chambre pour emprunter l'escalier en bois. Il grinçait sous mes pas alors que je sentais le parfum de la tarte aux poireaux.

Dans l'encadrement de la porte de cuisine, je me rendis-compte que je n'avais pas reconnue l'odeur du saumon cuit au four à cause de l'aigreur des légumes. Je plissai le nez et allai ouvrir la fenêtre de la cuisine.

- Toujours sur Quests, j'imagine ? commença ma mère sans un "bonjour".

Je ne répondis pas, déçue d'être accueillie de la sorte. Claire n'approuvait pas vraiment l'idée que je passe mes soirées accrochée à mon ordinateur sans pouvoir m'en détacher...
Toujours silencieuse, je m'avançai vers le placard au-dessus de l'évier pour installer la table alors que je sentais les yeux de ma mère dans mon dos. Je voyais déjà venir le rabâchage sur les études...j'enfonçai la tête entre les épaules alors que je positionnais les assiettes.

- Tu devrais sortir un peu plus,continua-t-elle. Je sais que tu n'as pas de mauvaises notes mais tu es désormais à l'université... si tu souhaites pouvoir t'intégrer dans le monde du travail, il serait préférable que tu changes légèrement, dit-elle.

Le ton inquiet utilisé résonnait dans mes oreilles, ma mère ne se fâchait pas contre moi, elle essayait de me comprendre et voulait que j'avance. Que je passe outre mes multiples mauvaises expériences face au monde réel..

- J'y penserai, chuchotai-je en baissant les yeux.

Je savais que je la décevais...Ma mère était une femme d'affaire, assistante de direction dans une entreprise de parfum, le travail avait été son tremplin pour sourire de nouveau. Pourquoi ne pouvait-elle pas accepter que Quest faisait mon bonheur ?

Je saisis la tarte avec le gant de cuisson alors qu'elle sortait des oranges du panier à fruit.

Lors de nos échanges rapides et limités, je sentais, parfois, une certaine peur dans le son de sa voix. À plusieurs reprises, je m'étais persuadée d'une hallucination auditive pourtant... un soir,je l'avais entendu au téléphone se confier sur ses craintes pour mon avenir.

L'idée qu'elle puisse se confier sur ses problèmes avec sa propre fille sans lui en parler, me peinait. Mon coeur se serra à ce souvenir.

Le nez vers la nourriture, nous étions silencieuses. Il me semblait évident que le fossé qui nous séparait était la communication. Incapable d'aller l'une vers l'autre, nous ne parlions jamais de ce qui s'était passé il y a trois ans.

Bien vu Sherlock ! Si nous pouvions discuter de cet événement, la situation aurait été déjà débloquée, songeai-je.

Je soupirai intérieurement. Je supportai de moins en moins ses remarques au sujet de mon futur et son inquiétude m'étouffait. Les efforts que je faisais ne semblaient jamais suffire... Mon rythme de vie me convenait amplement et je refusai d'être bousculée comme je l'avais été au collège ou au lycée. J'étais déçue que ma mère ne le comprenne pas mais sans converser... Agacée, je râlai contre cette personne qui, dans plusieurs années, inventerait la télépathie. Ne pouvait-il pas inventer aussi une machine à voyager dans le temps pour me donner sa première invention ?

Tout en entamant mon yaourt à la vanille, je compris que je n'étais pas résignée à laisser tomber pour ma mère... Ma vie me convenait à l'inverse de la relation que je subissais avec l'adulte à mes côtés. Dans deux jours, elle repartirait à son travail et rien n'aurait changé...

Le repas terminé, je débarrassai la table puis fit signe que j'allais remonter. Ma mère ne m'en empêcha pas et je filai à l'étage. Cette journée avait été exténuante... la rencontre à la fac, le nouvel administrateur et cette discussion peine perdue avec ma mère. Je ne voulais plus qu'une seule chose, me fourrer dans mes draps et ne plus réfléchir jusqu'au lever du soleil.


Coupe ta frange MiraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant