Chapitre 3

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J'entre dans la chambre alors que Grand-mère s'affaire déjà près du lit. Une jeune femme y est allongée, ayant l'air de souffrir le martyre. Une fine pellicule de sueur luit sur son visage. Elle doit avoir de la fièvre.

– Jaleena, tu es enfin rentrée, ma chérie, me dit Grand-mère sans lever les yeux vers moi. Viens prendre le relai, s'il te plait. Mes vieux yeux ne sont plus ce qu'ils étaient.

Je m'approche de Grand-mère et lui plaque un baiser sur le front. Elle se lève et me laisse la place sur le tabouret près du lit.

– Elle s'est coupée à l'atelier de tissage avant-hier, et la blessure est infectée, m'explique Grand-mère. Ce n'est pas joli à voir.

Effectivement, ce n'est pas beau. La jeune femme s'est tailladé l'avant-bras sur toute sa longueur. La coupure est purulente ; si nous n'agissons pas rapidement, elle sera bonne pour une amputation.

– Les ciseaux m'ont échappé des mains, m'explique-t-elle, haletante.

Je pose mon doigt sur ma bouche, lui intimant de préserver ses forces. Grand-mère lui passe un linge humide sur le front pour tenter de faire baisser sa fièvre.

– Je suppose qu'ils n'ont pas voulu d'elle, en bas, grogné-je à l'intention de Grand-mère.

Cette dernière soupire et répond :

– Ils lui ont demandé deux jours d'oxygène pour soigner sa blessure.

Elle n'ajoute rien. Aucun mot n'est suffisant pour décrire le sentiment d'injustice qui s'empare de mon cœur, et qui s'est sans aucun doute emparé du sien. Nous échangeons un regard lourd de sens. Puis, elle me tend des compresses et une bouteille d'alcool.

– Elle s'appelle Abby, me dit Grand-mère. Tu as une cartouche d'oxygène avec toi ? Nous allons en avoir besoin, cette nuit.

J'enlève ma cartouche de ma poche et lui donne pour qu'elle la mette dans le coffret du mur. Je n'ose imaginer combien de gens elle a soigné ce soir si son oxygène ne nous suffit déjà plus.

– Abby ? dis-je en reportant mon attention sur la blessée. Je m'appelle Jaleena. Nous allons nettoyer tout ça. Je suis désolée, mais je n'ai plus de plantes pour te faire dormir...

La dénommée Abby écarquille ses grands yeux, effrayée. Rien ne la prépare à la souffrance qu'elle va ressentir. J'espère qu'elle s'évanouira sous la douleur.

Grand-mère a déjà tout préparé. Sur le lit, à côté d'elle, je trouve du fil et une aiguille pour recoudre la plaie. Elle s'assied de l'autre côté et prend la main d'Abby :

– Serre aussi fort que tu peux, aussi fort que tu as mal, lui dit-elle de sa voix douce. Ne regarde pas.

Je regrette que nous n'ayons rien à lui donner à mordre. Les murs sont épais, mais je crains qu'on ne l'entende tout de même crier.

J'applique une première compresse imbibée d'alcool sur le bras d'Abby. Cette dernière se tord immédiatement de douleur, mais se retient de hurler. Elle se contente de serrer fort la main de Grand-mère, qui m'incite du regard à continuer. Nous soignons des gens depuis tellement longtemps, elle et moi, que l'adrénaline du début a disparu au profit d'un sang-froid à toute épreuve. J'ai confiance en mes gestes, concentrée sur mon travail.

Abby est courageuse. Elle laisse seulement échapper des grognements alors que je nettoie sa plaie, retirant le pus et les morceaux de chair infectée. Grand-mère la rassure en lui parlant, en lui racontant des histoires vieilles comme le monde, qu'elle me contait le soir lorsque j'étais enfant. Je n'écoute pas, absorbée par ma tâche. Le monde autour de moi a disparu, me laissant seule avec le bras blessé d'Abby.

Six Pieds Sous TerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant