Chapitre 4

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Je fais souvent le même rêve ; un songe au goût de liberté. Je suis dans une immense étendue verte, ce que j'imagine être une prairie, bien que je n'en aie jamais vue. Un grand soleil brille dans le ciel bleu au-dessus de ma tête, comme dans les vieilles photos qu'on nous montrait à l'école. Je prends alors une grande bouffée d'air, un air plus pur que ce lui que je respire chaque jour. Je suis assaillie par un millier d'odeurs inconnues, des parfums doux et forts à la fois, qui me font tourner la tête.

Au-dessus de moi, des oiseaux tourbillonnent dans une valse incessante. Je ne sais pas de quelle espèce il s'agit, je suis trop loin pour voir. Leurs chants me parviennent, essoufflés par les bourrasques qui fouettent mon visage et mes cheveux.

Il ne se passe rien d'autre que les heures qui s'égrènent ainsi, moi allongée sur le sol de la prairie, inspirant et expirant. Je savoure cet instant comme un trésor, car je sais que, quand la nuit s'en ira, il me faudra retourner dans cet univers gris et froid que constituent Antrum et ses terribles Niveaux. La nuit s'en va toujours. Et mon univers redevient un cauchemar.

J'ouvre les yeux en larmes, persuadée que cette journée sera à l'image de toutes les précédentes. À l'image de celles qui vont suivre.

Vides de tout parfum, de toute couleur, de tout autre son que celui des cartouches d'oxygènes tombant dans le toboggan. Que celui des bips des scanners et des voix murales monocordes, nous demandant sans cesse de valider des transactions hors de prix.

J'exécute la même danse lugubre que la veille et me dirige vers le centre de distribution, prête pour une nouvelle journée en enfer.

Aujourd'hui, je n'ai pas la force de sourire. La déception de la veille pèse encore sur ma poitrine, et elle pèsera longtemps. Quelques personnes aux visages familiers me demandent ce qui ne va pas, mais je reste murée dans mon silence. Je me contente de leur livrer leur oxygène et de leur souhaiter une agréable journée. Je n'ai rien à faire d'autre.

Je me concentre sur la prairie de mon rêve et j'essaye de me rappeler toutes les sensations. Je sais qu'elles sont issues de mon imagination, mais j'aime croire qu'elles sont un témoignage de mes ancêtres, ceux dont la mémoire est ancrée dans mon sang. Comme si, des générations après que l'humanité soit descendue sous terre, ils me poussaient encore à garder espoir.

Nous n'avons pas de religion, à Antrum. Les Leaders ont voulu tirer une leçon des erreurs des Anciens et nous ont interdit d'adorer un quelconque dieu. Nous avons appris à l'école que, dans l'ancien temps, les hommes se déchiraient pour des entités immatérielles qu'ils n'avaient même jamais vues. Ils se battaient, menaient des guerres assassinant des millions de personnes pour ce qui s'était avéré être, des années plus tard, la plus grande supercherie de l'humanité. Si les Anciens avaient eu deux sous de bon sens, ils se seraient battus pour préserver la nature qu'ils étaient en train de détruire.

Si les Anciens avaient eu deux sous de bon sens, nous ne serions pas encore six pieds sous terre, à creuser notre gigantesque cercueil. Nous serions là-haut, à respirer de l'air pur. Nous ne serions pas obligés de travailler pour gagner notre oxygène.

Complètement aspirée par mes pensées, je ne vois Ezra approcher qu'au tout dernier moment. Il m'offre un sourire radieux que je doute de mériter après la scène d'hier. Un sourire dont je ne veux pas, du reste ; sa sympathie m'est parfaitement égale.

– Bonjour, me dit-il en plongeant son regard dans le mien.

Fidèle à ma résolution de la journée, je ne réponds pas. Je ne peux cependant m'empêcher de pousser un long soupir d'exaspération en demandant à l'ordinateur de lui envoyer ses cinq cartouches journalières. Ces dernières tombent dans un cliquetis agaçant le long du toboggan. Ezra s'en saisit en jetant un regard peureux derrière lui. Heureusement, il n'y a personne à cette heure-là. Tout le monde est déjà au réfectoire pour le dîner ; j'ai décidé de rester plus longtemps au cas où il y aurait encore des personnes à soigner, aujourd'hui. Une heure ou deux d'oxygène en plus ne nous fera pas de mal.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 17, 2020 ⏰

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Six Pieds Sous TerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant