Mon estomac gronde lorsque je sors du travail. J'ai tellement faim que je pourrais dévorer trois rations d'affilée. Cependant, j'ai à peine de quoi en manger une et je devrais m'en contenter.
Je retrouve Kai devant le sas menant au réfectoire. Il est accompagné de plusieurs de nos amis ; depuis que nous avons quitté les bancs de l'école, nous n'avons jamais perdu l'habitude de manger ensemble le soir. Tous se retournent pour me sourire, leur visage arborant un air désolé qui m'exaspère autant qu'il me touche.
– Oh, Jaleena, soupire Zelda en me prenant dans ses bras.
Je lui rends son étreinte en ravalant les larmes qui me montent déjà aux yeux. Je les ai retenues toute la journée, mais il est toujours hors de question de craquer maintenant, même devant mes amis. À leurs yeux, je suis Jaleena la dure à cuire, je ne pleure jamais. Rien ne changera ça.
Kai m'envoie une grande claque dans le dos alors que Dean se contente d'un signe de tête. C'est le timide de la bande, le discret, celui qui ne parle presque jamais. Pourtant, sa présence a toujours quelque chose de rassurant, d'apaisant, et nous apprécions tous l'avoir à nos côtés.
Nous attendons patiemment notre tour pour entrer dans le réfectoire, qui doit probablement être bondé à cette heure. Zelda nous raconte sa journée au Niveau Un ; elle a l'art de faire de sa routine une formidable aventure, chaque jour. Il lui arrive toujours quelque chose d'extraordinaire. Nous savons tous qu'elle exagère un peu, mais Zelda est une dramaturge dans l'âme. Je souris en songeant que, au temps des Anciens, elle aurait pu être actrice.
Son visage s'anime au fur et à mesure de son récit, alors qu'elle nous parle de sa rencontre avec le plus bel homme qu'elle ait jamais vu.
– Il vient sûrement du Niveau Quatre, même s'il ne portait pas de biocombinaison claire. D'habitude, on ne voit jamais personne de là-bas au Niveau Un !
Elle continue son récit, mais je n'écoute déjà plus, absorbée par mes pensées. Que vais-je bien pouvoir dire à Grand-mère, ce soir ? Que j'ai échoué encore une fois, et que je ne supporterai pas d'échouer de nouveau ? Je l'entends déjà me dire que je dois réessayer jusqu'à parvenir à mon but. Grand-mère n'acceptera jamais que je baisse les bras. Pourtant, abandonner est la seule chose à laquelle j'aspire. Je n'ai pas le courage de continuer d'espérer. Personne ici n'a réussi ce concours en plus de cinquante ans. Inutile d'être surdoué pour comprendre ça ; les habitants du Niveau Deux sont tous condamnés à y rester.
Lorsque c'est enfin notre tour, je passe mon avant-bras gauche dans le scanner jusqu'au coude. Devant moi, l'écran s'allume et la voix murale dit :
– Bonsoir, Jaleena Kawe. Pour entrer dans le réfectoire, merci de valider la transaction.
Je grimace en regardant le prix. Il me semble qu'il augmente un peu chaque jour. M'installer à une table pour manger me coûte désormais presque quarante-cinq minutes d'oxygène.
Je valide, n'ayant pas d'autre choix si je veux rentrer chez moi l'estomac plein. Je regarde, dépitée, mon compteur d'heures d'oxygènes réduire de quarante-cinq minutes.
– Bon appétit, Jaleena, continue la voix murale avant d'ouvrir les portes pour me laisser passer.
J'attends que le sas se referme derrière moi pour ordonner à ma biocombinaison de retirer mon masque. J'ai payé le prix fort pour entrer ici, je compte bien en profiter.
Kai, Zelda et Dean m'imitent, aspirant chacun une grande goulée d'air. Respirer à l'intérieur de la biocombinaison est toujours pénible et je ne connais personne qui ne déteste pas ça. Nous nous dirigeons alors vers le self, où Cléo s'active derrière une grosse marmite.

VOUS LISEZ
Six Pieds Sous Terre
Science FictionLes Anciens ont détruit le monde. Ils ont forcé l'humanité à descendre sous terre pendant que la Terre guérissait. Mais la Terre n'a pas guéri. Il ne reste pas grand-chose de l'humanité. Les survivants ont trouvé refuge dans un biodôme souterrain :...