Hyperesthésie

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L'angoisse de mourir. De ne jamais se réveiller. Voilà sur quoi j'avais essayé de mettre des mots. Que j'avais essayé d'expliquer, de comprendre, sans que ça règle vraiment le problème. Hyperesthésie, parait-il. 

Et parfois l'angoisse suit mes journées. 



Au départ, la peur se manifeste le soir, avant de s'endormir. On écoute la respiration, le cœur, on s'angoisse, on se dit « et si je ne me réveillais pas, demain matin ? ». Et puis on finit par fermer les yeux en se disant que bien sûr, on se réveillera, qu'il n'y a pas de raison.

Je ne sais pas exactement s'il y a eu un événement déclencheur, finalement, ou si je me suis trop écoutée ; si j'ai trop laissé la peur m'envahir, ces soirs-là pour qu'elle finisse par me coller à la peau. Il est vrai que si je devais dater, ce serait à partir de la mort de Billie, de cette crise d'angoisse qui m'a littéralement rongée. Je n'ai pas beaucoup dormi, cette nuit-là, parce que j'étais terrifiée à l'idée de ne jamais pouvoir me réveiller. La seule chose que j'ai trouvé à faire c'est d'écrire jusqu'à n'en plus pouvoir, d'extérioriser la souffrance qui me dévorait la poitrine, pour finir par me coucher devant la télévision. Mon but n'était rien d'autre que m'endormir sans que je m'en rende compte pour lutter. Je ne me souviens pas avoir déjà fait ça avant... du moins, ce n'était pas aussi violent. Je faisais tout pour m'épuiser, je ne voulais pas dormir. Mais ces nuits restaient rares et ne me marquaient pas. Aujourd'hui elles sont chroniques, continuelles. Et la peur ne ronge plus seulement mes nuits, elle me suit la journée.

J'ai lu que ce genre de peur était engendrée par le ressenti grandissant d'un manque de sécurité ; il paraît que ce sentiment est donné par la maman à ses enfants lorsqu'ils sont petits. Or, même si je cherche, je ne me souviens pas que ma mère m'ait déjà accompagnée au lit, m'ait rassurée sur ce monstre qui dormait dans mon armoire ou ait eu connaissance de certaines angoisses d'enfant qui me rongeaient. En fait, je me suis toujours laissée submerger, j'ai l'impression, au lieu de lutter. J'avais peut-être des tendances suicidaires ou masochistes, en fait.

Je sais que l'ombre m'a toujours fait peur ; j'ai longtemps dormi avec la lumière allumée, quelle qu'elle soit.

Cette confrontation avec la solitude, la mort, tout ça, vient de loin.

Depuis que Billie est mort, je crois. Oui, ça concorde, quand j'y pense. Ça a commencé par être de plus en plus souvent puis par devenir constant. Mais c'était un cercle vicieux : j'étais toujours crispée et tendue à cause de cette peur, et j'avais peur des élancements dans mon cou, dans mes épaules causés par cette posture. Des nuits, j'en pleurais, parce que l'angoisse m'étouffait littéralement, me bouffait, me consumait. Et que pouvais-je faire face à cela ? A qui en parler, finalement ? Il est facile pour les autres de dire « ne t'inquiète pas, tu vas te réveiller, demain », mais j'ai déjà tenté de me raisonner. C'est facile, la journée, de penser « honnêtement, qu'est-ce que ça change, de rester réveillée ? », et je sais que ça change le fait que l'endormissement est un changement d'état. Est-il pire, finalement, de ne pas savoir qu'on meurt ? Les deux me paraissent insupportables. La nuit noire m'étouffe, elle me fait suffoquer ; soudainement, j'entends tout, sens tout.

Hyperesthésie, paraît-il.

Mais là n'est pas le sujet – peut-être que si ?

We fell silentWhere stories live. Discover now