Malade : 1

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J'ai mal à la tête. J'ai froid, sur le côté de la nuque et dans le bas du dos. Ma joue me brûle.

Mes sensations sont ciblées, je flotte, je suis perdue. Mes doigts courent sur le clavier, je ne pense pas. J'écris ce qui me passe par la tête, et je ne sais pas ce qui me passe par la tête.

Ecrire, c'est s'abandonner. Ecrire, c'est laisser le dessus aux personnes, dans ma tête, que je m'efforce d'effacer au quotidien.

J'ai fermé le volet, ma chaîne Hi-Fi joue une musique rageuse, un rap froid et cassant qui reflète mon état d'esprit. Ma tête bourdonne, je ne sais plus ce que je fais.

Parfois, je me demande si ma vie a un sens. Sans doute en a-t-elle un. Sans doute, mais je ne le connais pas. Les jours s'enchaînent, à la suite, froidement, calmement. Au lycée, tout n'est qu'une mascarade, je mens tant que je ne sais plus qui je suis vraiment. Dans ma tête, le noir a pris le pas sur toutes les couleurs, et je m'égare derrière ce masque souriant que j'abhorre. On m'a dit de sourire, je souris. On m'a dit d'être sage et gentille, on m'a dit que personne n'aime les gens déprimants.

Je voudrais me comprendre, mais je me rends parfois compte que c'est impossible. Je suis trop de personnes différentes. Je suis cette fille sage qui va chaque jour se ranger à sa place au cœur de la société. Je suis ce grain de sable, comme tous les autres, sans qui tout serait pareil. Je suis ce robot, ce masque, cette poupée de chiffon effondrée sur un parquet froid, dans le noir, qui ne ressent plus que la douleur laissée par les coups de poing sur ma tempe et ma mâchoire. Je suis cette adolescente libre qui voudrait tout envoyer creuver pour de la musique, une feuille de papier, un crayon et de l'air frais.

Lorsque la nuit, je me retrouve face à moi-même, je ne sais pas ce que je pense, je ne sais pas ce que je veux. Je laisse mes mains traduire les mots qui traversent ma tête douloureuse. Tout semble chaotique. Je ne sais pas qui je suis, quand je dors.

Est-ce que je mens en dormant ? Est-ce qu'il m'arrive d'être vraiment honnête ? Est-ce que quelqu'un me connait ? Est-ce que quelqu'un me comprend ?

Je veux céder, parfois. Me dire que c'est normal, que je suis folle, que je n'y peux rien. Je veux prendre des médicaments, pour faire taire à jamais les voix qui emplissent mon crâne. Je veux dire : "C'est normal, je suis malade". Je veux pouvoir tout expliquer, je veux pouvoir satisfaire les gens qui posent des questions. Je veux avoir quelque chose de logique à dire. "Ce n'est pas ma faute."

Parfois, je me frappe. Parce que je sais que la douleur est réelle, elle. Parce qu'elle m'ancre au sol de ma chambre quand je crache du sang dans ma main tremblante. Parce qu'elle ne fait pas partie de cet acte. Parce que la douleur libère celle que je suis réellement. Parce que c'est alors que je peux laisser mes pensées dériver. Parce que quand je m'éveille de cette torpeur, je relis ce que j'ai écrit, et je vois. Je vois qui il y a dans ma tête. Parce que c'est ainsi que je communique avec moi-même.

Ce que j'écris n'a aucun sens. Je sais que je ne me relirai pas. Pas ce soir. Peut-être demain, pour savoir qui j'étais ce soir.

J'ai du mal à atteindre cet état de plénitude honnête. J'ai besoin d'air, puis de ténèbres. J'ai besoin de me haïr, j'ai besoin de haïr le monde. J'ai besoin d'avoir mal.

Ca fait mal. Je sens des larmes salées couler sur mes joues, et ma tête vibre toujours. Ma joue me brûle toujours. Ma nuque est raide, comme le contre-coup de la contraction de mes muscles quand j'encaisse les coups.

Ca n'a pas de sens. J'ai froid.

La logique m'échappe. Il n'y en a pas, en fait. Je voudrais pouvoir dire que tout va mal, que j'ai besoin de médicaments. Je voudrais une explication rationnelle, je voudrais quelque chose qui me permette de savoir qui je suis, ce que je suis. Je vois, autour de moi, que je ne suis pas la seule. D'autres ne sont eux-mêmes que hors de la communauté. D'autres mentent. D'autres ont peur, d'autres ont froid, d'autres sont seuls. Alors dites-moi, pourquoi suis-je si seule ? Pourquoi alors que je suis entourée est-ce que j'ai l'impression de glisser vers le bas, de ne pas trouver de prise, de continuellement perdre ce qui fait naître l'ombre d'une étincelle ? Pourquoi faut-il se conformer ? Pourquoi tout faire ainsi que le veulent les gens ? Pourquoi toujours mentir ? Pourquoi ne croire en rien ? Pourquoi être seul, grain de sable dans le désert, goutte d'eau dans l'océan ?

Est-ce que je sais encore dire la vérité ? Les mensonges sont devenus mon addiction. J'ai besoin de m'inventer une vie. J'ai besoin de prétendre, j'ai besoin de souffrir de mon silence, pour me dire que je permets à d'autres d'être heureux.

J'ai besoin de me convaincre que ce que je fais me permet de souffrir pour plusieurs.

Et puis parfois, je sens que mon cœur flanche, je sens le sang qui quitte mon visage, je sens le tiraillement dans ma nuque qui s'intensifie, je me sens partir.

Et tout bascule.

Et je suis quelqu'un d'autre.

Et toujours pas moi-même.

J'avale la substance blanchâtre dans le verre devant moi, et je sens une chaleur douloureuse m'envahir. Je ferme les yeux.

Parfois, j'ai envie d'être malade.

Les symptômes que je m'imagine. Ils pourraient être vrais.

Je suis fatiguée.

Je pourrais partir.

Pourquoi toujours attendre ?

Je peux partir.

InsomnieWhere stories live. Discover now