Quelque chose en moi ne bat plus comme avant.
Il y avait un souffle. Une mélancolie. Il y avait un vent froid qui souvent, gémissait dans mon cerveau. Il faisait noir, alors. Sous mes yeux. Dans le fond de mon ventre. Il y avait des vagues. Elles rongeaient les os de ma cage thoracique, lentes. Peut-être auraient-elles pu finir par grignoter mon coeur.
Je crois que j'aimais vivre comme ça. Je crois que j'aimais sentir la tristesse se faufiler jusqu'au bout de mes doigts, souvent, et les faire trembler jusqu'à ce que je ressente le besoin dévorant d'écrire.
Écrire, c'était pour oublier. J'étais affamée des mots, obsédée par les mondes qui s'ouvraient sous eux. Je voulais qu'ils fassent mal, qu'ils aient un goût de sang. Mais je voulais aussi qu'ils soient doux. Qu'ils aient le goût d'une peau en sueur après l'amour. Je voulais qu'ils aient des couleurs. Une mélodie. Je les ciselais pendant des heures. Ils étaient vides et inutiles posés sur des pages blanches. Ils devenaient vibrants et profonds une fois que je les mélangeais.
Ils me sauvaient.
Ils me tiraient la tête hors de l'eau.
Ils m'aidaient à mieux respirer.
Je crois que sans eux je pourrais être méchante. En colère. Profondément triste. Je crois que sans eux je serai surtout vide vide v i d e.
Pourquoi est-ce que je n'écris plus ? Pourquoi est-ce que je ne ressens plus le besoin de créer ? Pourquoi est-ce que l'idée même ne mord plus mon cerveau ? Pourquoi est-ce que ça ne me rend pas triste ? Pourquoi est-ce que ça ne m'inquiète même pas ?
Avant je me sentais tomber. Trois jours, une semaine sans toucher un morceau de papier, et je sentais en moi quelque chose se déchirer, lentement. Un trou noir dans le fond de ma poitrine, qui avalait mon souffle. Je dérapais. J'avais peur, de moi-même, des idées qui se tapissaient là, dans l'ombre. Alors je reprenais mon crayon, et je recommençais. À nouveau, le monde se colorait. À nouveau, la main autour de ma gorge se desserrait. Tout avait un sens. Tout était à sa place. Moi. La terre. Le soleil. Le ciel. Les mots.
J'écris,
Tout,
Va,
Bien.
Et maintenant, quelque chose en moi ne bat plus comme avant.
Quelque chose bat plus vite. Il n'y a plus de vent froid. L'ombre est éclaboussé de soleil. Ce n'est pas un soleil qui brûle, pourtant. Il est seulement doux, et très lumineux. C'est le soleil d'une matinée d'avril, quand le ciel est bleu et un peu froid, quand on sait que le temps sera suffisamment bon pour pique-niquer dehors, à midi. C'est un soleil qui me donne sans cesse envie de m'asseoir sur un banc en lisant de la poésie. C'est le soleil le plus agréable que j'ai jamais senti sur ma peau. Je crois que je suis heureuse.
Et je ne sais pas écrire quand je suis heureuse.
Je n'ai pas besoin.
J'ai toujours été un peu persuadé que pour écrire il fallait être triste, et désespéré, et mélancolique. Parce que c'est comme ça que ça marche pour moi. Quand mon coeur se met à rater des battements, qu'il est serré gonflé éraflé, il faut de l'encre. Elle répare tout.
Je suis amoureuse de toi.
J'ai eu si peur en le réalisant. Je pense que j'étais amoureuse de toi depuis longtemps, pourtant. Que c'était quelque part en moi, caché comme un petit chat endormi et ronronnant. C'était un sentiment qui attendait seulement que je sois prête pour s'éveiller.
J'ai eu peur de tomber. J'ai toujours peur de tomber, parce que je sais que si cela arrive un jour, cela fera bien plus mal que toutes les fois précédentes.
Tu vois, je ne sais pas écrire quand je suis heureuse et amoureuse. Il faut toujours que je pense aux choses tristes pour remplir ma page. C'est idiot. Il y a tellement de belles choses à dire sur l'amour, et sur la joie. Sur cette sensation de plénitude qu'il y a dans mon coeur, quand je sors dehors et que je regarde le ciel et que je me dis, il y a quelqu'un au monde pour m'aimer de la façon dont j'ai toujours rêvé être aimée. Il y a quelqu'un au monde qui me comprend sans même que j'ai besoin de parler.
J'ai dû mal à croire que tu existais avant. Que depuis tout ce temps tu vivais respirais riais pleurais sans moi. Que tu as vécu des choses où je n'étais pas là. Ça me donne le vertige, de penser que peut-être, nos chemins auraient pu ne jamais se croiser. Dans une foule, penses-tu que nos regards se seraient accrochés ? Je sais que tu dirais oui. Dans ce monde, et dans tous les autres. Toujours.
Tu me donnes envie de vivre. Tu me donnes envie de faire avec quelqu'un toutes les choses les plus simples et les plus banales. Faire les courses avec toi à vingt heures, et remplir le caddie de gâteaux qu'on mangera en regardant une série, pendant qu'il pleut dehors. Être assise à côté de toi en voiture et te regarder conduire et rire quand tu insultes tout le monde parce que c'est ce que tu fais, et je trouve ça fantastique, que tu sois malpoli et insolent et plein d'une rage qui fait des étincelles sur tout ce que tu touches. T'écouter me raconter tous tes plans pour survivre à l'apocalypse, et espérer très fort qu'un jour le monde s'écroulera sous nos pas, juste pour que tu aies le plaisir de tout mettre à exécution. Imaginer le jour on ira à la mer, ensemble, et où on se tiendra la main en marchant sur la plage jusqu'à ce que nos doigts soient trop frigorifiés. Tu vois ? Ce ne sont même pas des choses folles. Parfois je veux simplement prendre ton visage entre mes mains et t'embrasser lentement jusqu'à ce que le monde n'existe plus, qu'il y ait juste toi et moi et nos respirations et je m'en fous du reste.
J'ai envie d'être heureuse avec toi. Et d'apprendre à écrire en étant heureuse. C'est ce que je commence à faire, là, non ? J'ai envie de te voir sourire et à chacun de tes sourires je rajouterai une ligne au roman de ma vie. Il faudra qu'il fasse des milliers de pages. Il sera si gros que personne ne pourra en venir à bout. Il sera composé de mots seulement écrits pour toi, que les autres ne comprendront pas, parce qu'il sera dans notre langue à nous. Celle que j'aurai inventé pour te dire que je t'aime, à toi et seulement à toi.
Voilà. Quelque chose en moi ne bat plus comme avant.
Tu as ouvert une fenêtre sur la chambre un peu sombre qu'était ma vie. Et je sais que tu diras, ce n'est pas possible ça. Je ne suis pas si lumineux. Si. Si, tu l'es. Tu l'es plus que n'importe qui au monde. Tu es ma petite lumière vacillante, ma lumière qui parfois est mordue par le vent, et dont la flamme tremble avant de briller plus fort, ma lumière qui s'embrase quand quelqu'un veut l'éteindre, la seule lumière dont j'aurai toujours besoin pour écrire, même quand la nuit sera noire.
Maintenant, je sais.
Il y a deux choses seulement qui peuvent faire battre mon coeur suffisamment vite pour qu'il éclipse l'ombre.
Écrire.
Et toi.
Je vais apprendre à mélanger les deux.