Léa et Flo

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Elles roulent droit dans le mur. Elles roulent vers la fin du monde.

Léa a la musique dans les oreilles, les écouteurs vissés dans son cœur au rythme des battements impuissants qui ne peuvent la sauver de l'inévitable.
Boum. Boum. Boum. Boum.
Elle sait qu'elle ne peut rien faire. Elle n'y peut rien, évidemment.
Ils sont allés trop loin. On ne revient pas en arrière.
Le ciel sera noir
Et la Terre rouge.
La musique résonne.
Puis les dernières notes.
L'orage s'amasse au-dessus de leur tête.
Bientôt les éclairs fuseront, abattront avec leur force les dernières résistances de l'humanité, saperont les derniers fondements des hommes.

Flo a arrêté la voiture. Elle allume sa dernière clope.
Elle sait qu'elle ne fumera plus. Elle n'y peut rien, évidemment.
« T'es en train de te détruire les poumons.
- Pour ce qu'il me reste à vivre, de toute façon... »
Et elles se taisent toutes deux. Dehors, pas un bruit. Pas de chant d'oiseaux. Pas de vent, pas de bruissement d'arbres.
« Sers-moi dans tes bras...
- On sera fortes, dit, on sera fortes, Léa ?
- Sers-moi dans tes bras... bien sûr qu'on sera fortes. »
La cigarette est tombée au sol. La fumée envahit l'habitacle, elles étouffent.
La pluie finit enfin par tomber. Lourde, forte, une belle pluie de fin du monde.
Et tout sur cette Terre se précipite vers son ultime dénouement.
Le premier éclair retentit, le tonnerre rugit. La pluie semble vouloir crever la toiture, la chaleur et l'humidité sont oppressantes. Léa et Flo se serrent l'une contre l'autre. Et puis l'une cherche la bouche de l'autre, dévorante.Elles se serrent, se pressent l'une contre l'autre, les mains se cherchent. On ne sait plus qui est qui, elles se fondent l'une dans l'autre, on n'a plus Léa et Flo ou Flo et Léa mais juste LéaFlo. Ou FloLéa.
Mais avant d'aller plus loin, trop loin peut-être, un coup de feu retentit. Trop bruyant. Trop proche. Elles sursautent. Leur moment de répit est passé. Elles doivent reprendre la route.
Alors Flo ramasse et jette la cigarette encore fumante par la fenêtre, allume le contact et repart.
Des dunes commencent à apparaître au loin, mais tout est flou. La pluie empêche de bien voir. Ça sent le sel et la mer. L'iode. Les algues. Le sable.
La voiture s'arrête. Plus d'essence. Mais elles s'en foutent, elles iront à pied, jusqu'au bout du monde s'il le faut.
La pluie assomme. Elle essaye de s'infiltrer. Jusque sous les moindres pores de la peau. Elle rentre par les oreilles, le nez, même les yeux. Alors Flo crie et se met à courir en riant. Léa la suit. Elles sont heureuses. Le monde pourrait tomber qu'elles s'en apercevraient à peine. Il tombe et elles s'en aperçoivent à peine. Elles courent et trébuchent dans le sable mouillé. Elles courent tombent s'écroulent se relèvent. Et soudain, droit devant elles, derrière une dune plus haute que les autres,
la mer.
Bleue. Immense. Non, le mot est trop pauvre. Cyclopéenne. Incommensurable.
« C'est très, très grand, murmure Léa.
- C'est beau, hein ?
- Très, très beau... »
Et elles s'enlacent. Fort. Longtemps. Leurs mains se joignent. Léa pose sa tête sur l'épaule de Flo. Flo la regarde. Et elle pense qu'elle est belle. Qu'elle a de la chance d'avoir trouvé quelqu'un comme Léa. Qu'il n'y en a pas deux de pareil sur cette planète de misère.
« Le ciel sera noir Et la Terre rouge... commence Léa.
- Plus aucun espoir Plus rien qui ne bouge, continue Flo. »
Le ciel gronde, comme pour leur donner raison. Un nouveau coup de feu. Au loin. Elles se serrent un peu plus fort.
Léa pleure. Flo paraît forte mais elle crève de peur. Elle ne fera rien paraître. Jusqu'au bout elle veillera sur Léa en la laissant pleurer sur son épaule.
Elles savent que la fin approche. L'une bride ses sentiments tandis que l'autre les laisse sortir.

Le monde va droit dans le mur. Le monde va à sa fin.

Le matin arrive. Deux filles courent sur le sable, profitent à fond de leurs derniers jours. Puis le Soleil se couche.
La pluie n'arrête pas de couler.
Le Soleil se couche. Et se lève. Elles n'ont presque plus de force. Elles n'ont pas mangé depuis plusieurs jours, et depuis deux jours elles n'ont pas bu.
Le Soleil se couche.
Leur dernière nuit. Elles le savent, au fond. Elles le sentent. Alors, tout doucement, au rythme du ressac des vagues, elles s'aiment. Et elles finissent leur nuit enlacées. Parce que rien n'est plus fort que FloLéa. Ou LéaFlo.
Et, quand le Soleil se lève, il ne reste plus que deux corps allongés sur le sable. On ne viendra pas les ramasser. On ne pleure plus les morts. On ne pense plus qu'à sa vie, en cette fin de monde.

L'humanité court à toute vitesse contre le mur. L'humanité court à toute vitesse à sa fin.

Les survivantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant