SUITE
Au fur et à mesure qu'elles chantaient, elles se transformait en ânesse. Elles sortaient en suite de l'eau, courant, ruant, se roulant et pétant.
Nul ne troublait leurs ébat. Le seul qui l'eût pu faire, le seul qui sortît du Village au crépuscule pour ses ablutions et la prière de Timis, Narr le maure, était parti en pèlerinage à la Mecque. Fatiguée et heureuse, Fari et sa suite reprenaient leur corps de femme et s'en retournaient chez Bour,calebasses et marmites recurées.
Les choses auraient pu peut être durer toujours ainsi, si Narr avait péri en chemin, s'il avait été pris là-bas vers l'est dans un royaume de Bambara, peulh ou haoussa et maintenu en esclave, ou s'il avait préféré demeurer, le restant de ses jours, près de la Kaaba pour être plus près du paradis. Mais Narr revint un beau jour, et justement à la tombée de la nuit. Il alla, avant de saluer le roi, vers le lac. Il y vit les femmes, et caché derrière un arbre, il écouta leur chanson. Son étonnement fut plus grand que le jour où il les y avait trouvées, voyant se changer en ânesse. Il arriva chez Bour, mais il ne put rien dire de ce qu'il avait vu et entendu, tant il fut fêté et questionné sur son pèlerinage. Mais, au milieu de la nuit, son secret, qui s'était mis en travers du couscous et du mouton dont il s'était gavé, l'étouffait. Il vint réveiller le roi:
-Bour ! Bilahi ! Walahi ! Si je mens que l'on me coupe la tête, ta femme la plus chérie n'est pas un être humain, c'est une ânesse !!
- Que raconte tu là, Les génies t'ont-ils tourné sur le chemin du salut ?
-Demain, Bour, demain, inch allah ! Je te le prouverai.
Le lendemain matin, Narr appela Diali, le griot Musicien du roi et lui apprit la chanson de Fari.
— Après le déjeuner, lui dit-il, lorsque notre reine favorite caressera sur sa cuisse la tête de Bour pour qu'il s'endorme, au lieu de chanter la gloire des défunts, tu joueras sur ta guitare et tu chantera la chanson que je viens de t'apprendre
— cs à la Mecque que tu as appris cette chanson ? S'enquit Diali , curieux comme tout griot qui se respecte.
— Non !! Mais tout à l'heure, tu verras la puissance de ma chanson, répondit Narr le maure.
Bour somnolait donc , la tête sur la cuisse de sa favorite, pendant que Narr racontait à nouveau son pèlerinage, lorsque Diali qui, jusque là, fredonnait doucement en frôlant sa guitare, se mit à chanter :
FARI HI !! HAN !!
FARI HI !!!HAN
La reine se tressaillit. Bour ouvrit les yeux. Diali continua.
FARI HI !! HAN !!!
FARI EST UNE ÂNESSE.
FARI HI !! HAN !!
FATI REY !! MBAM LA !!
— Bour, dit la reine, en pleurant, empêche Diali de chanter cette chanson.
— Pour qu'elle raison , ma chère femme ? Je la trouve très jolie, moi, dit le roi.
— C'est une chanson que Narr a apprise à la Mecque ,expliqua le griot.
—Je t'en supplie, mon maître !! gémit la favorite.
Arrête le. Elle me fait mal au coeur, car on la chante chez nous aux enterrements.
—Mais ce n'est pas une raison pour faire taire Diali , voyons !!
—Et Diali chanter toujours :
FARI EST UNE ÂNESSE
OÙ EST FARI LA REINE DES ÂNES
QUI ÉMIGRA ET N'EST PAS REVENUEFARI REY !! MBAM LA !!!
ANNI DJEGOU MBAM YI !!!
MI MIDANNI WONE THIE TAKH MA TÉ NIOWOUL !!!
Soudain, la jambe de la reine qui supportait la tête de Bour se raidit et sous la pagne apparut un sabot et puis une patte. L'autre jambe se transforma, ses oreilles s'allongèrent, son beau visage également...
Rejetant son royal époux, Fari, redevenue ânesse, ruait au milieu de la case, décrochant la mâchoire de Narr le maure . Dans les cases voisines, dans les cuisines, dans la cour, les ruade et les HI !!! HAN !!! indiquaient que les suiettes de Fari avaient, elle aussi subi le même sort que leur reine.
Comme leur reine, elles furent maîtrisées à coups de triques et entravées, de même que tous les ânes qui, inquiets de leur reine et de leur épouses, partirent à leur recherche et passaient par le royaume de N'guer.ET C'EST DEPUIS N'GUER ET DEPUIS FARI, QUE LES ANES PEINE À COUPS DE TRIQUES ET TROTTENT, CHARGÉS, PAR TOUS LES SENTIERS, SOUS LE SOLEIL ET SOUS LUNE