Le retour de l'Espagnol (version 1)

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Ce jour-là était encore un bien silencieux jour.

Espagne ne rentrerait pas.

Comme tous les jours précédents. Comme toutes les semaines, tous les mois, toutes ces années qui venaient de s'écouler, sans un mot, sans un bruit, sans une présence.

Romano n'en pouvait plus de balayer la cour du manoir d'un fantôme. De laver les vitres, dépoussiérer, astiquer, cirer... Passer chaque jour devant une chambre où plus personne ne se reposait, prendre chaque jour ses repas où plus personne ne lui faisait la conversation...

Romano était à bout de nerfs. Il était épuisé. Inquiet- Non, angoissé, terrifié jusqu'à la moelle résumait mieux cette glaciale tension qui donnait encore à son corps un peu de motivation pour se lever, passer la journée complètement seul et, au fond, prier pour qu'Espagne revienne.

Car Espagne n'était jamais revenu. Lorsque la Nation avait quitté la maison, un sourire enthousiaste et des étincelles plein les yeux, Romano l'avait envoyé balader – son habituelle forme de salutation –, sans se douter qu'il n'entendrait plus le grincement de la porte d'entrée de si tôt.

Pourtant, la Nation italienne ne se décourageait pas. Lui qui abhorrait les tâches ménagères, il ne faisait plus que ça – il était même devenu plutôt bon, étonnament –, lorsqu'il n'avait pas la visite exceptionnelle de son jumeau ou de rares proches.
Parce que c'était la dernière chose que lui avait laissée ce crétin d'Espagne.

Cela, et la plus immonde amertume à laquelle il ait jamais goûté. Sans compter cette angoisse incessante, ce refus de faire le deuil et cette incapacité à imaginer le pire, cette impatience, cette rage, et cette terreur. Oh, cette terreur de ne plus jamais le revoir.
Car Romano n'attendait plus que le retour d'Espagne. Une part de lui lui criait de cesser d'espérer, après tout ce temps, de cesser de se faire du mal et de le compter une bonne fois pour toutes parmi ceux qui étaient passés de l'autre Côté. Une autre part de lui ne vivait plus que par l'espoir, peut-être même le fantasme, d'entendre à nouveau la porte d'entrée grincer et la voix de son ancien patron l'appeler gaiement.

Alors de la taille d'un enfant, sa nation s'était agrandie et développée, et lui, avec. En fait, l'absence d'Espagne et de sa coupole lui avait procuré une apparence plus mature, signe qu'il avait pu évoluer sans la puissante influence d'un autre.
Adolescent lorsque le plus âgé avait passé la porte, il faisait presque sa taille désormais et ressemblait à un beau jeune homme au cœur déjà meurtri par le chagrin.
Il aimait cette nouvelle taille, il aimait ce qu'il était devenu, même si c'était le résultat de l'abence d'Espagne. En se voyant, chaque jour, devant le miroir, la mine défaite, les cernes noires et profondes comme des tranchées, le teint trop pâle pour le fier Méditerranéen qu'il était, il se demandait s'il ne troquerait pas sa croissance contre le retour d'Espagne.

Romano avait de la fierté, beaucoup de fierté. Mais à force de passer ses journées seul, il avait bien compris le besoin de trouver un confident et allié qui puisse entendre la vérité. C'était lui-même.
Dans sa solitude, il ne pouvait alléger son fardeau qu'en étant honnête avec lui-même.
Espagne lui manquait. Espagne était tout ce qu'il voulait voir en rentrant. Autrefois, Espagne ne l'avait jamais quitté, l'avait toujours protégé et lui avait sans relâche démontré son attachement. Maintenant, Espagne n'était plus là.

Ce grand dadais, bête comme ses pieds, insouciant, le grondant sans arrêt pour un vase cassé ou de l'eau renversée – des bagatelles, en somme –, incapable de retenir ces émotions qui sortaient des tréfonds de ses entrailles, cet imbécile si bruyant et joyeux dont l'absence était aussi violente que perdre l'ouïe d'un seul coup, ce naze que rien ne semblait atteindre et qui n'altérait jamais son si radieux sourire, malgré les ténèbres qui l'entouraient lorsqu'il évoquait son passé...
Romano avait détesté cet ennuyeux rayon de lumière qui avait débarqué dans sa vie pour l'asservir. Mais son affection évidente avait atteint son objectif et maintenant, Romano ressentait son absence comme la torture la plus interminable.

Le retour de l'Espagnol [RÉÉCRITE] - HetaliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant