Un carnet de Roses

14. Etincelle

Depuis qu'Adeline avait fait son entrée à la fac, elle s'était bien vite rendu compte qu'il ne fallait pas se reposer sur ses lauriers. Même quand il n'y avait rien à faire, il y avait toujours quelque chose à faire.

L'automne arrivait bientôt à sa fin, annonçant la période inquiétante des partiels. Juliette savait ce qui l'attendait, elle l'avait déjà vécu l'année précédente, et elle avait détesté ça. D'apparence, elle paraît sûre d'elle, mais en réalité, elle ne pourrait être plus angoissée qu'à cet instant. Elle décida d'adopter une nouvelle stratégie cette année : s'enfermer dans sa chambre et réviser tranquillement, coupée du monde et du bruit extérieurs. Martin, de son côté, voulait réviser avec ses amis, mais sa mère lui avait fortement conseillé de rentrer à la maison pour ne pas être tenté par trop de divertissement.

Restait Adeline, seule, et en difficulté. Ses amis ne pouvaient pas l'aider, et elle n'osait poser des questions aux professeurs. De toute manière, même si elle se décidait à le faire, ceux-ci ne répondraient que trop tard, étant trop occupés à préparer les sujets.

Contrairement à Juliette, Adeline ne pouvait rester enfermée chez elle tout une semaine à bûcher sur des exercices et à réciter son cours en tournant en rond dans sa chambre. Elle décida d'enfiler une veste, une écharpe et des bottes et fila prendre l'air frais. Il y avait trop de cours à apprendre, et trop de choses qu'elle ne comprenait pas encore très bien.

Ses pieds la portaient contre son gré. Elle ne savait pas où elle se rendait, mais marcher lui permettait de se vider la tête. Ainsi, peut-être pourrait-elle trouver la même motivation que Juliette. Ce n'était pas comme si Adeline se fichait de la note qu'elle pourrait obtenir, bien au contraire. Les cours étaient si différents de ce qu'elle avait connu : des éléments à connaître par cœur, des formules à transformer, des réponses à déduire en utilisant sa logique... Elle ne savait pas par où commencer.

Elle s'arrêta brusquement au beau milieu d'un passage piéton, comme frappée par un éclair de génie. Cela n'avait jamais été une honte de demander de l'aide à ses professeurs, alors pourquoi hésitait-elle alors même que ceux-ci leur proposaient toujours ?

La voilà, sa motivation.

Aussi vite qu'à l'allée, elle rentra chez elle et entreprit d'envoyer un mail au professeur Sorel. S'il y en avait un qui pouvait définitivement l'aider, c'était lui.

* * *

Adeline sentait déjà ses joues s'échauffer alors qu'elle se rendait vers son lieu de rendez-vous. Et pourtant, il n'avait rien de galant ! Comme promis, Raymond accepta volontiers de l'aider et lui proposa qu'ils se retrouvent en début d'après-midi le lendemain dans une des salles où il donnait habituellement un cours.

Lorsque l'étudiante agitée se pointa, la pièce était vide. Mais elle eut à peine le temps de reprendre sa respiration qu'une voix familière la fit sursauter.

- Bien le bonjour.

C'était, bien évidemment, le professeur. Il était proche. Beaucoup trop proche. La jeune fille s'écarta d'un saut pour laisser passer Raymond. Celui-ci ne fit aucune remarque, et se contenta de sourire chaleureusement, laissant apparaître ses fossettes sous sa moustache toujours parfaitement taillée. Le cœur d'Adeline s'emballa. Elle se força à détourner le regard et avala péniblement sa salive, après quoi elle lança une salutation étranglée. Raymond ne dénota pas de comportement plus étrange que l'habituel, et déposa nonchalamment ses affaires sur le bureau. Il se hissa sur celui-ci, croisa les jambes et posa délicatement ses mains sur ses genoux. Il n'avait pas besoin de prononcer un mot qu'Adeline prit son courage à deux mains, une nouvelle fois, et exposa les matières dans lesquelles elle rencontrait des difficultés.

- Commençons par le commencement, Adeline.

Entendre soudainement son prénom la fit sursauter, mais elle tenta de ne rien laisser paraître et s'appuya contre la table derrière elle.

- Je suis prof de biologie végétale, mais tu n'as pas besoin d'aide dans cette matière. Alors pourquoi tu m'as demandé à moi ? questionna le professeur, visiblement perplexe par le choix de cette étudiante.

- Les autres professeurs n'ont pas répondu... avoua celle-ci comme si elle devait mentir pour sa survie.

- Je vois.

Sans rien ajouter, Raymond se leva et empoigna une craie. Il inscrivit quelques mots piochés au hasard dans le cours et dessina un grand cadre. Il se retourna et fixa l'intéressée dans le fond des yeux.

- Fais-moi le schéma d'une coupe de jeune tige et complète la légende, demanda-t-il en tendant la craie à la jeune fille désemparée.

Une heure et demie passa ainsi. Le professeur Sorel posait des questions, et Adeline y répondait. Cette dernière connaissant son cours sur le bout des doigts, Raymond dériva alors sur la chimie, la biologie animale, la physique... Jusqu'à l'instant où il remarqua que son élève avalait trop souvent sa salive. Elle devait être déshydratée à parler sans s'arrêter.

- On devrait s'arrêter là, proposa-t-il soudainement.

Adeline mit un instant à comprendre : elle ne se sentait absolument pas prête à passer ses examens !

- S'il vous plait, on pourrait finir le chapitre ? tenta celle-ci, poussée par un infime espoir.

- Dans les révisions il faut faire des pauses de temps à autres, mademoiselle, contra Raymond en se relevant. Que dis-tu d'aller boire un café, à la place, pour te détendre un peu ?

Adeline vit mal comment cette situation pourrait un tant soit peu l'apaiser, mais elle ne pouvait se résoudre à refuser cette invitation qui se présentait à elle.

- Un thé, plutôt, oui, annonça-t-elle en baissant les yeux.

Elle eut l'impression de chuchoter ces mots, voire de les avaler. Ses joues se commencèrent à rosir, à s'embraser, et Adeline dût lutter pour paraître normale, tandis que Raymond enfilait sa veste et son écharpe.

Après tout, ce n'était que l'affaire d'un thé entre une élève passionnée et son professeur dévoué.