𝟤 | 𝒹𝑒𝓊𝓍𝒾𝑒̀𝓂𝑒

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"I can't seem to keep
Any wolves from my door"

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– Mets-y plus de force. Tu peux faire mieux.

Kenma ramena son bras épuisé et tremblant contre lui avant de laisser échapper un soupir discret. Avec soin, il se redressa pour aller s'avancer vers la cible où trônait le couteau qu'il venait tout juste de lancer. Il avait arrêté de compter les essais en début d'après-midi, juste après le bref sandwich qu'il avait avalé.

C'était mieux pour lui : si après des heures à répéter le mouvement il n'arrivait toujours pas à toucher le centre, même par chance, alors il n'était pas près d'arrêter pour aller reposer son bras. Sa mère ne l'autoriserait à aller s'asseoir à la table de la cuisine pour dîner que quand elle serait certaine qu'il avait bien compris.

– Réessaye, lui ordonna-t-elle à nouveau quand il revint se mettre en position.

Le dos droit, les doigts assurés et le bras ankylosé, il ferma son œil gauche et se concentra encore une fois.

Les couteaux que lui donnait sa mère étaient de vraies armes : pas des couverts de cuisine ou encore des trucs pour s'amuser. Non, ils avaient une lame épaisse et large, toute en courbe et en côté tranchant, mais surtout ils pesaient leur poids. Il avait vu sur internet que certaines personnes faisaient cela pour s'amuser, et que c'en était même venu à devenir un sport : mais cela se faisait avec de longues lames fines, qui n'avaient presque pas de manche. À force de les tenir un par un à bout de bras, Kenma pouvait sentir son épaule protester à chaque fois qu'il se remettait face à la cible.

À plus de vingt-cinq mètres de là, cette dernière semblait l'appeler autant qu'elle le narguait de ses échecs.

Derrière lui, sa mère se tenait droite, implacable, ses deux bras croisés sur sa poitrine. Elle avait pris sa casquette en sortant de la maison, et cela aurait très certainement dû lui mettre sa puce à l'oreille quant aux activités qu'elle lui réservait.

Kenma lança le couteau. Il alla se planter dans la partie blanche de la cible, en dessous du point rouge centrale.

– Kenma, plus de force, répéta-t-elle. Tu peux faire mieux.

Il reprit son souffle en marchant pour aller récupérer l'arme. Si au départ elle lui avait permis d'en lancer cinq par cinq afin d'éviter les allers et retours, à présent il n'en restait qu'un et il devait le récupérer à chaque essai.

Le soleil commençait à se coucher au loin, derrière les arbres, ce qui voulait dire qu'il devait être aux alentours de 23 h. C'était l'été, les vacances pour être exact, et si les journées étaient plus longues, ce n'était pas forcément mieux pour tout le monde.

Une fois le manche posé au creux de sa paume, il fit demi-tour et alla se remettre en position.

– Lève ton coude. Soi plus souple sur tes genoux.

Ils étaient arrivés dans leur maison de campagne un peu moins de deux semaines plus tôt. Tous les étés, depuis que Kenma était en âge de se souvenir, ils les avaient passés ici tous les deux. Sa mère et lui. Elle lui avait au départ simplement montré comment chasser, puis les exercices avaient évolué au fil des ans : des courses d'endurances, des randonnées en montagne, des combats en corps à corps, de la musculation, du tir à l'arc, du repérage de fruits et baies comestibles, de l'escalade. Tout y était passé, et à presque 17 ans Kenma se considérait comme plutôt dégourdi dans plein de domaines.

Durant l'année, sa mère travaillait simplement dans une entreprise correcte, et rentrait tous les soirs pour le dîner. Ils mangeaient ensemble, vivaient normalement : Kenma invitait souvent Kuroo, jouait à des jeux vidéos sans que personne ne lui dise rien, et dormait autant qu'il le voulait. C'était pendant l'été que tout changeait, et que sa mère laissait ses tailleurs à la maison pour sortir les treillis et les shorts verts. Parfois, il parlait avec Kuroo par Skype, pendant la nuit, et ça le réconfortait un peu. Il ne lui disait pas grand-chose, simplement le strict minimum : que sa mère était une fan de sport et qu'elle l'emmenait courir avec elle tous les matins, des petites choses comme ça. Après tout, il fallait bien expliquer aux autres d'où venaient ses muscles, lui qui n'avait pas l'air très dégourdi.

Il lança le couteau, qui alla se planter sur le bord blanc à droite, à quelques centimètres à peine du centre. Kenma serra la mâchoire.

– Encore une fois. C'était mieux.

S'il adorait sa mère, il avait également l'impression de ne pas la connaître. Jamais l'idée ne lui était venue de refuser ou de se rebeller, mais Kenma aurait bien voulu qu'ils discutent un peu plus parfois. Qu'elle soit plus ouverte, qu'elle lui parle de son père (pas de lui spécialement, mais au moins de la manière dont il était parti, s'il était mort ou vivant, si elle l'avait aimé), qu'elle lui parle d'elle, qu'elle lui pose des questions. Des choses simples, comme « qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie, mon fils ? » et pas juste des ordres au saut du lit.

– Ancre-toi plus dans le sol, et lève le menton.

Elle avait un air sévère, pourtant il l'avait surpris plusieurs fois à venir le voir quand elle croyait qu'il dormait, ou à regarder de vieilles photos datant de son enfance. C'était de petits détails, mais des choses qui lui redonnaient l'espoir d'un jour où ils pourraient parler.

Il lança le couteau. Dans le centre rouge.

Une contraction dans son épaule de força à grimacer franchement, et quand il se retourna vers sa mère Kenma la surprit en train de sourire. Il haussa un sourcil, et elle s'approcha de lui.

– C'est bien, dit-elle et il eut l'impression que ce n'était plus la même personne. Va prendre ta douche, je vais tout ranger. On se retrouve dans la cuisine ?

Et il hocha lentement la tête, tenant encore son épaule douloureuse avec sa main gauche.

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Des bisous !

Before the Dawn || KenHinaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant