Chapitre 1

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Il faisait bon dans le bureau du Major Houtson. Cela était dû au feu de cheminée qui crépitait proche d'eux, mais aussi au soleil qui annonçait l'arrivée du printemps, bien que ce dernier réchauffait uniquement les bourgeons. L'attention du lieutenant Meehan était portée sur cette pile de dossiers, où la notion "Top Secret" était tamponnée sur chacun d'entre eux. En face de lui, le Major Houtson jouait avec son briquet et il alluma son cigare, qu'il mordillait depuis plusieurs minutes. Il lisait avec soin une liste comprenant des noms, présentés plus tôt par Caleb. Le silence aurait pu être quasi parfait entre eux, si la bâtisse qui servait de siège à l'OSS avait possédé un meilleur isolement sonore : on pouvait facilement capter des bribes de conversation derrière chaque murs et portes, sans parler du clapotement d'une bonne vingtaine de machines à écrire. Ce bruit répétitif était irritant et énervait passablement Caleb, au contraire du Major qui n'en faisait guère cas, maintenant habitué. Caleb aurait pu passer outre, mais son hypersensibilité ne le lui permettait pas et il lui fallut à peine un quart d'heure pour que ses nerfs soient mis à rude épreuve.


— Mmh... Pourquoi avoir entouré ces cinq noms, précisément ? Finit par demander Houtson.

— Philomène Breau possède un très bon niveau en allemand, tout comme en italien. De plus, elle travaille pour le SOE depuis l'année dernière et, au vu de son dossier, c'est l'un de leur meilleur élément. Ensuite, nous avons Curtis Roy Cobb, qui est en service depuis 1941 et il vient de loin. Il est le dernier d'une fratrie de cinq enfants. Il est fils d'ouvrier et lui, il gagnait sa vie en détenant et vendant de la drogue. Je vous laisse deviner les raisons de son engagement...

— Et mis à part ses différents avec la justice, qu'a-t-il de si spécial à vos yeux ?

— Nous avons besoin d'un sniper pour la mission ?

— En effet ?

— Cobb en est un. De plus, malgré son niveau d'étude inexistant... Il a un goût prononcé pour la langue et l'apprentissage. Il apprend vite en plus d'être vif et discipliné, sans oublier qu'il parle couramment l'allemand et possède quelques notions en italien.


Le Major opina du chef à son explication, tapotant le bout de son cigare contre le cendrier.


— Ensuite, nous avons Aloïs Hoffman. Reprit Caleb. Avec sa famille, il a fui l'Allemagne dès les premières lois d'Hitler visant à chasser les Juifs. Il est studieux ! Premier de sa promotion à la Technische Universität München, en faculté d'architecture. Il fait du théâtre depuis son enfance et, sans surprise, son allemand et son italien sont impeccables. Il ferait un bon agent infiltré avec notre quatrième homme qui est Antonio Da Vini.

— Et qui est-il ? Interrogea Houtson.

— Comme pour Breau, Da Vini est un agent du SOE. Il est Italien et il a fui son pays étant en désaccord avec le pouvoir en place et le Nazisme. Quand le SOE a été créé, il a tout de suite déposé sa candidature. Cela fait depuis un an qu'il est en mission dans son pays natal. Il a mis en place et mène un réseau de résistance dans notre zone, chose qui pourrait être utile.


Les deux hommes s'échangèrent un regard et Houtson quitta son siège, s'approchant de la commode se trouvant à leur gauche. L'homme attrapa la bouteille de whisky qui s'y trouvait et d'un mouvement nonchalant, il fit tourner le liquide ambré tout en prenant la parole :


— Et qui est notre dernier homme, Meehan ?

— Une femme, monsieur : Abigail Lochlain. Elle est en dernière année de médecine à Harvard et, tout comme le reste de l'équipe, elle sait parler italien et allemand. De plus, elle possède des compétences en transmission, communication et messages codés.

Houtson émit un léger "mmh" et retira le bouchon de la bouteille pour glisser son contenu dans deux verres. Caleb le regarda faire et partagea son silence, prenant le verre que le Major tendit dans la seconde.

— Bien... Parlez-moi d'eux, mais autres que leurs compétences. Ont-ils de la famille ? Des amourettes ?

— Cobb, Lochlain et Da Vini sont célibataires. Le cas de Breau est particulier... Elle a une fille restée en France, tandis que son mari est porté disparu depuis la rafle de 1942.

— Celle du Vel d'Hiv ?

— En effet. Affirma Caleb.

— Bien triste histoire...


Caleb hocha la tête, posant son verre sur le bureau avant de continuer :


— Seul Hoffman a des obligations familiales... Il est marié et a trois enfants. De plus, sa sœur cadette est malade et c'est lui qui s'en occupe principalement.

— Que fait-il donc sur cette liste ?

— Il parle allemand.

— Et ?

— Il aime la chasse et les échecs.

— En quoi cela est-ce utile, lieutenant ? Insista Houtson, plus que perplexe du raisonnement de son meilleur officier du renseignement.

— Le SS-Standartenführer Boeckmann est un chasseur chevronné et un joueur d'échec hors-pair.


Un ange passa entre eux, tandis que le Major jaugea son verre d'un air pensif tout en retournant à son siège, qui grinça sous son poids.


— Qui vous dit qu'il acceptera ?

— Hoffman a une dent contre les Nazis et à juste titre. Caleb reprit son verre. S'il accepte ma proposition, cela sera dû à son envie de vengeance particulièrement prononcée. Il fera partie des premiers que je contacterai à l'issue de notre conversation.


Le lieutenant sirota son verre, tandis que Houtson finit le sien d'une traite. Ce dernier se pencha vers les dossiers jusqu'ici oubliés, qu'il ouvrit pour les étudier avec un air des plus neutre. Il y a bien une chose qui étonnerait toujours le Major : le professionnalisme de Meehan. Cet homme ne laissait rien au hasard et veillait à rendre des dossiers plus que complets. En à peine quelques pages, Houtson connaissait le groupe sanguin, les antécédents médicaux et autres problèmes de santé, la personnalité, le livret de famille, les diplômes et les compétences de chacun. Ici, tout le monde surnommait Caleb "la fouine", principalement à cause de sa curiosité maladive. Il devait connaître la vie privée de chaque employé composant le bâtiment, du détail le plus insignifiant au plus important. C'était une pulsion incontrôlable, un besoin vital de tout vouloir connaître et d'engloutir toute information passant à sa portée. Pour sa propre protection dans un premier temps, puis pour celles des hommes qu'il avait à sa charge. Houtson jeta un dernier coup d'œil à la liste et délaissa son cigare dans le cendrier.


— Je vous laisse le soin de tous les contacter.

— Bien, monsieur.

— Et, Meehan.

Le dénommé s'arrêta à mi-chemin de la porte.

— Excellent travail, comme toujours.


Meehan se contenta de lui sourire simplement et quitta le bureau. Le Major fredonna légèrement et se servit un second verre de whisky. Il prit le temps de récupérer son papier à lettre et de coucher un premier paragraphe, expliquant que la mission ne tarderait pas à commencer.

II. [Sur]vivre : A bout de SouffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant