Prologue

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Au début de leur mariage, Gemma n'avait jamais pu supporter de voir les pièces de théâtre qui se déroulaient à Drury Lane. L'époque dans laquelle ils évoluaient réclamait d'abord une audience particulière et les textes composés par certains artistes visaient un public spécifique.

Bien que la noblesse en soit le plus touché, puisque les dramaturges s'inspiraient de potentielles affaires de cœur qui ne se finissaient jamais bien, la marquise de Dorchester avait espéré que la sienne ne soit pas exposée. Malheureusement, la jeune femme avait fini par se faire ridiculiser, c'est pourquoi elle avait abandonné l'idée de se rendre au théâtre. Pendant une courte période, l'humiliation fut grande.

L'espoir de le séduire s'était finalement éteint. Elle avait réalisé que leur mariage n'était qu'un moyen de l'oublier. Il accomplissait son devoir envers elle, la traitait du mieux possible en oubliant que le plus important pour qu'un couple puisse s'épanouir était le respect.

Deux années de mariage s'étaient écoulées et la distance s'était profondément établie entre eux. La jeune femme pouvait se permettre de la définir par un fossé. Pire encore, les premiers temps de cette union, ses actes de séduction s'étaient multipliés, tout l'enseignement qu'elle avait appris de sa tante et des françaises parfaitement capables de séduire un monarque si elles le voulaient n'avaient servi à rien. Cela l'avait davantage agacé que si elle avait compris dès le départ que jamais son cœur ne lui appartiendrait.

Maintenant que tout était clair, Lady Gemma Howard ne regardait plus la dite pièce l'ayant humiliée avec une mine chagrinée. Non. A présent, l'amusement se lisait clairement sur son visage. Pleurer sur son malheur ne lui ressemblait pas.

Alors que ses deux amies se tenaient sur les chaises à ses côtés, légèrement gênées, la marquise lança avec réjouissance :

— Voyez comme je suis dépeinte.

L'une d'entre elles, dont la chevelure brune était décorée par une plume étrange, lui rétorqua sans masquer son empathie :

— Gemma, ce n'est qu'un moyen de divertir l'auditoire.

Lady Howard jeta un coup d'œil aux spectateurs se trouvant près de la scène. En effet, ils se réjouissaient de cet abominable portrait. Et elle les observait rire de son malheur et du caractère si impétueux dont elle était dotée. Une fois les commissures de ses lèvres tirées, elle continua :

— Ma chère, l'art est une critique. Et je le suis.

L'autre, ne s'étant pas décidé à rejoindre la conversation au départ, le fit.

— Que s'est-il passé ?

Les yeux bleus de son amie se posèrent sur son visage. Gemma tourna sa tête afin de les rencontrer. Puis son expression changea irrémédiablement.

Lydia attendait ses explications. Se décider si tardivement à assister à une pièce à Drury Lane voulait simplement dire que la marquise évitait son mari. Seules Joleen et elle savaient lire en elle, et inversement, quoique Gemma était plus compétente à déchiffrer leurs expressions.

La marquise jeta un bref regard à sa gauche, Joleen n'avait pas autant d'audace que la comtesse d'Ederlay à lui tirer les vers du nez. Cependant, elle ne cachait pas l'envie d'en savoir plus.

— Je l'ai entendu parler dans son bureau, finit-elle par leur avouer.

Et se souvenant de ses paroles, ce fut comme un déchirement au cœur. Sa capacité à lui donner un héritier avait déjà été remise en cause jusqu'à ce qu'un enfant mort-né, et mâle de surcroît, ne lui donne tort. Puis il y avait son mauvais caractère, qui pourtant s'était amélioré avec le temps.

Clé de mon CoeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant