Jungkook

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Je suis resté figé devant cette affiche puis le temps s'est arrêté. Il était écrit : "groupe de danseurs/chanteurs cherche nouvelle recrue." J'ai décollé l'annonce et je n'ai pu en décrocher mon regard. J'ai repensé à ma mère, à ce qu'elle m'avait dit, aux "singeries"... tout ça tournait en boucle dans ma tête comme un tourbillon infernal. Moi qui avais l'impression de ne me sentir bien que dans ma chambre, avec mon casque sur les oreilles, j'étais alors confronté à une nouvelle perspective d'avenir. Une échappatoire. 

Mais ce n'était qu'une illusion. Car j'étais certain que mes parents s'y opposeraient. Et puis, après tout, je n'avais jamais pris de cours de danse et mon expérience se résumait à quelques pas farouches et hésitants. Quelle chance avais-je ? Même si je prenais mon courage à deux mains et me rendais aux auditions, sans concerter mes parents, que pourrais-je présenter ? 

Ma grand-mère me disait souvent que j'avais une belle voix. Nous étions très proches. Mais être danseur, ça ne s'improvise pas. Alors je suis resté figé dans mes doutes tandis que cet espoir débile flottait autour de moi. J'avais conscience que les éléments se déchaînaient, mais les gouttes de pluie, le tonnerre et les vibrations du sol ne paraissaient pas m'atteindre. C'était comme si j'étais en dehors de moi-même, je ne ressentais plus rien. J'étais aspiré dans un trou noir.

Et étrangement, ce sont ces bruits de cavalcade qui m'ont brusquement ramené à la raison. J'ai vu sans comprendre ce garçon se précipiter vers moi, puis j'ai réalisé l'ampleur du danger. La fissure de la dernière fois m'accueillait de nouveau. Mais cette fois-ci, elle menaçait de m'engloutir. 

Le jeune homme se rapprochait de plus en plus et tout ce que j'ai trouvé à faire, c'est serrer l'affiche contre moi, avant qu'il ne me projette à l'intérieur d'un bâtiment.

C'est un vieux local abandonné, et me voilà affalé au sol, auprès d'un inconnu. Je me redresse d'un coup, avise un moment l'endroit dans lequel j'ai atterri : il y a des débris de toute sorte là-dedans, des plaques de plâtre, des poutres en bois, des pièces de métal hors d'usage... j'ai un sursaut : j'ai perdu l'affiche ! J'étudie tous les recoins puis constate qu'elle a juste glissé en avant. 

En la ramassant, j'ose enfin jeter un regard à celui qui m'a sûrement sauvé la vie. Il est de ma tranche d'âge, et il a l'air d'être tombé sur les fesses. Il est étonné. Mais il me sourit. Ses cheveux blond cendré brillent dans l'obscurité, et son regard est lumineux. Il a des lèvres charnues et un air nonchalant. Il est beau.

"Euh... merci, balbutié-je. 

- Tu t'appelles comment ? s'enquit-il."

Il est complètement trempé mais il s'en fiche. J'observe un moment des gouttelettes ruisseler de ses mèches frisées. 

"Jungkook, je murmure alors. Et... et toi ?

- Jimin ! s'exclame-t-il."

Ça sonne bien. Je ne sais pas trop quoi dire, alors je garde le silence. Je n'aime pas quand les gens se mettent à parler de banalités pour poursuivre une conversation qui s'éteint, quand ils parlent de la pluie et du beau temps. Là, ce serait plutôt ironique d'évoquer ce sujet vu la gueule du ciel.

Le sol continue de trembler. J'essaie de lisser l'affiche, que j'ai froissée. Jimin scrute le moindre de mes gestes.

"C'est quoi ? demande-t-il en désignant la feuille."

Il a un sourire en coin, comme s'il connaissait déjà la réponse.

"Eh ben c'est... c'est une annonce.

- Je peux voir ?"

Je n'ai même pas le temps de réagir qu'il a comblé la distance qui nous séparait. Je lui montre le papier, il se penche pour lire et sourit de plus belle.

"Tu es intéressé par l'annonce ? poursuit le garçon, en s'asseyant en tailleur tout près de moi."

Je déglutis et cherche mes mots. Il constate mon trouble et fait mine d'essorer son tee-shirt, pour éviter de me gêner davantage en me fixant. J'observe la petite flaque qui se forme sur le béton : j'ai l'impression de me liquéfier, moi aussi. 

"T'es pas très bavard, commente Jimin."

Il entreprend maintenant de se recoiffer comme s'il était chez lui, dans sa salle de bain, et attend patiemment ma réponse. Je me racle la gorge et reprends mes esprits. Je n'ai pas envie de passer pour un type bizarre et coincé, alors je lance :

"Les études ce n'est pas trop mon délire."

Je n'arrive pas à croire que je viens de dire ça à voix haute ! Depuis le temps que les mots étaient coincés dans ma gorge... ça fait du bien d'en parler enfin à quelqu'un.

Jimin a un petit hochement de tête, pour m'inviter à poursuivre.

"Et j'ai l'impression que... j'ai l'impression de me libérer quand je me mets à chanter ou à danser, bafouillé-je. Enfin, je n'ai jamais pris de cours, je ne pourrais même pas me qualifier d'autodidacte, ajouté-je avec un rire. Disons que... ça se fait au feeling."

Le jeune homme m'écoute avec attention, comme si c'était intéressant ce que j'étais en train de raconter. Je suis un peu déstabilisé mais les mots se bousculent et se mettent à franchir d'un coup la barrière de mes lèvres, je ne peux plus m'arrêter :

"Je me suis rendu compte il y a quelques temps que j'en avais assez d'étudier, mais le problème c'est que mes parents ne veulent rien entendre. Enfin, je ne leur ai rien dit plutôt, à propos de ce que je ressens quand je chante et que je danse, la libération que c'est, tout ça... parce que je pense qu'ils n'accepteraient pas que j'aie une trajectoire différente de la famille; chez nous tu finis soit avocat soit médecin c'est comme ça, c'est la tradition. Du coup je me cache parce que j'ai peur qu'ils me jugent, même que l'autre fois quand ma mère m'a surpris dans ma chambre, elle a... elle m'a dit..."

Ma voix se brise. Jimin me regarde, penché en avant et le poing sous le menton. Ses yeux marrons foncés pétillent.

"Elle a dit quoi ? souffle-t-il.

- Que la danse et la musique ce ne sont que des singeries, dis-je, en baissant les yeux."

Le garçon a un mouvement de recul. Il cligne des yeux, stupéfait. Son regard fouille le mien, il semble hésiter. Puis il éclate de rire, comme si je me foutais de lui :

"Sérieux ?

- Oui, fais-je."

Il se tait, les yeux ronds.

"Ah oui, c'est emmerdant ça..., marmonne-t-il, en regardant ailleurs comme s'il était perdu dans ses pensées."

J'allais lui demander pourquoi est-ce qu'il me pose toutes ces questions, quand un coup de tonnerre assourdissant éclate, suivi de tremblements de terre violents. Un coup de vent fait s'ouvrir la porte du vieux local, qui claque contre le mur, et une rafale de pluie vient lécher l'encadrement pour nous éclabousser.

"Viens, il ne faut pas rester près de l'entrée ! crie Jimin, en se relevant."

Ses doigts s'enroulent autour des miens et on se précipite dans le fond de la pièce, loin de la tempête. 

LA FAILLE (Jikook)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant