Juillet 2018
Le soleil pénètre doucement dans l'appartement par la fenêtre entrouverte. Elle ouvre les yeux et regarde frénétiquement autour d'elle. Il y a déjà plusieurs mois qu'elle a emménagés ici mais elle ne s'y fait toujours pas. Le sud c'est joli pourtant, ensoleillé, accueillant. Mais rien y fait, ce n'est pas chez elle et elle ne peut s'empêcher de se le répéter. Elle soupire en retirant la couverture posée sur son corps. Elle se précipite afin d'attraper un jeans et le t-shirt qui traine au pied de son lit. Elle dort nue. Mais elle ne supporte pas son corps. Chaque centimètre de sa peau lui rappelle des instants qu'elle préférait oublier. Alors chaque matin c'est la même chose, retirer la couverture d'un geste brusque, prendre les affaires et se couvrir rapidement avec. Moins elle se voit plus elle pourra supporter la journée à venir. En descendant les escaliers en bois de la mezzanine elle scrute la table basse au milieu du salon. Elle se détend lorsqu'elle trouver son paquet de cigarettes et en glisse une entre ses lèvres. La première aspiration lui brûle la gorge et elle ferme les yeux pour savourer cet instant. Elle est en vie. Elle se penche à la fenêtre pour observer la rue. C'est calme aujourd'hui. Le soleil est déjà haut dans le ciel, elle jette un œil à son portable. Midi. Il faut vraiment qu'elle fasse attention, elle ne doit pas se laisser autant aller. Il est important qu'elle retrouve un rythme de vie, il faut que sa vie paraisse le plus normale possible. Elle pose une main sur son front en continuant d'observer l'extérieur. Elle a envie de sortir mais elle se sent plus en sécurité en restant enfermée ici. Dehors il y a plus de chances qu'il lui arrive quelque chose. Elle écrase son mégot sur le rebord de la fenêtre et se dirige vers la salle de bain. Laissant l'eau de la douche coulée jusqu'à ce qu'elle atteigne la bonne température, elle ne peut s'empêcher de croiser se regarder dans le miroir. Elle n'a pas grossi en réalité mais ça elle ne le voit pas. Elle remarque seulement qu'elle remplit son jeans, elle préférait flotter un peu dedans... au moins elle saurait qu'elle a perdu du poids. Elle tente de détourner le regard mais après une seconde passée à regarder ailleurs, elle ne peut s'empêcher de revenir devant son reflet. Elle hausse les sourcils. Est-ce qu'en seulement deux jours il est possible de grossir des joues ? Elle en doute, elle est même certaine que le corps ne peut pas se transformer aussi vite. Mais il s'agit d'elle et pour cela elle est intraitable. L'eau de la douche coule toujours remplissant la pièce de buée. Lorsque le miroir est recouvert elle se sent soulagée et peu de nouveau respirer. Elle enlève ses vêtements et se place sous l'eau brûlante. Une nouvelle fois elle garde la tête levée vers le plafond pour éviter de croiser son corps. C'est comme si c'était deux personnes différentes : le corps et l'esprit. Et apparemment, chez elle, ils étaient plus ennemis qu'amis. L'eau brûlante parvient à la détendre. Elle ferme les yeux et pendant quelques minutes elle oublie où elle se trouve. Ce qui pourrait être une bonne chose si son esprit ne se perdait pas dans les souvenirs. Elle garde les yeux fermés et savoure l'instant.
Pourtant sans qu'elle puisse le contrôler en une seconde son esprit bascule. Elle ne se trouve plus ici dans ce nouvel appartement qui ne lui parait pas encore familier. Elle revit une scène qu'elle aurait préféré effacer de sa mémoire. Elle ressent son corps contre le sien, ses poignets coincés dans une de ses mains contre la paroi de la douche. Sa gorge la brûle mais ce n'est pas la brûlure agréable causée par la fumée de cigarette. C'est vif, comme si l'eau était en train de la noyer. Il ne semble pas entendre ses protestations, il joue avec son corps comme si elle lui appartenait. Est-ce que ce n'est pas le cas après tout ? Elle la choisit, d'une certaine manière. Le poids qui pèse contre elle lui fait mal mais elle n'est plus capable de bouger. Elle attend que ça se finisse. Et quand enfin il pousse un soupir de satisfaction elle sait qu'elle sera bientôt libérée. Enfin elle le croit. Mais non, il ne lui suffit plus de lui prendre ce qu'elle ne désire pas donner. Depuis quelques temps il reçoit également le besoin de l'humilier. Alors qu'il s'apprête à sortir de la douche, il se tourne vers elle et lui demande si elle a aimé. Elle ose à peine lever la tête et avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit il s'emporte. Il lui rappelle que c'est le rôle d'une femme que de le laisser s'épanouir et de le combler. Elle a beau répéter qu'elle voulait attendre, qu'elle n'était pas prête c'est comme s'il n'entendait rien. Il claque violemment la porte de la douche derrière lui et elle se prend à soupirer de soulagement, elle préfère sursauter à cause de cela que prendre les coups. Elle reste un instant encore sous l'eau brûlante en essayant de trouver une justification à ce qui vient de se passer. Et comme toujours elle finit par se blâmer elle-même. La majorité des filles de son âge couche déjà avec leur petit ami. Elle a toujours refusé, toujours voulu attendre. Après tout il ne fait rien de mal, elle n'ose jamais s'opposer, c'est comme s'il ne savait pas qu'elle ne voulait pas. Peut-être qu'elle devrait lui en parler ? Non, il ne vaut mieux pas, il s'énerverait. Ce n'est rien, pour l'instant il a eu sa dose il la laissera tranquille quelques temps. Mais ce qu'elle ne sait pas c'est que dans la pièce d'à côté la colère monte déjà en lui. Il est contrarié par une discussion au téléphone avec un de ses amis et bien qu'elle n'ait rien à voir là-dedans il a besoin d'évacuer son trop plein de négatif. Il rentre à nouveau dans la salle de bain. Ses yeux brillants se fixent sur la douche et elle sent son ventre se tordre. Elle lui demande ce qu'il ne va pas. Aucune réponse. Il tourne en rond, s'agace. Puis, alors qu'elle s'apprête à sortir de la douche, il l'attrape, cri que tout est de sa faute et la rejette contre la paroi. Son crâne claque contre le verre et elle s'accroupie pour encaisser le choc. Elle porte une de ses mains jusqu'à l'arrière de sa tête et sent un liquide poisseux se mêler à ses doigts. Son cœur s'accélère, sa respiration est saccadée. Elle le voit s'approcher de la douche et ferme les yeux comme pour échapper à cette scène. Lorsqu'elle les rouvre elle est seule.
Seule et dans un autre appartement. Elle pose une main sur son cœur et secoue la tête. Elle se répète qu'elle a déménagé, qu'elle ne craint plus rien ici. Son corps tremble entièrement malgré la chaleur de l'eau. Elle reste plusieurs minutes immobiles comme si elle avait peur de le voir rentrer dans la pièce. Parfois elle n'arrive pas à faire la distinction entre ses souvenirs et le moment présent. S'enveloppant dans une serviette, elle entrouvre doucement la porte de la salle de bain. Elle jette un regard circulaire dans le salon. Il n'y a personne. Sa respiration se fait plus régulière. Elle retourne devant le miroir et inspecte à nouveau son corps. Mais le souvenir est trop vif dans son esprit. Elle ne peut s'empêcher de voir tous les défauts. Ici une marque plus foncée laissée par un hématome sur sa peau blanchâtre, là une cicatrice dû à un coup. Elle se dégoute, elle jette une serviette sur le miroir. Elle ne peut vraiment plus se voir. De colère elle se tourne pour être certaine de ne pas se regarder de nouveau. Son regard tombe sur les toilettes et l'idée fait plus que lui traverser l'esprit. Elle reste là, pénétrant la moindre pensée. Cela fait tellement de temps qu'elle n'a plus fait ça qu'elle n'est pas certaine de réussir. Mais elle sait que vider son corps lui ferait le plus grand bien. Elle le faisait régulièrement auparavant et elle avait l'impression de se vider de tous ses souvenirs à la fois. En soupirant elle s'agenouille et penche son visage au-dessus des WC. Les coudes posés sur la cuvette elle soupire. Elle ne devrait pas le faire elle en a conscience. C'est idiot mais son esprit continu de la persuader. Si elle se vide elle fera sortir tout ce qu'il a mis de mauvais en elle. Elle joint son index et son majeur et les enfoncent au fond de sa gorge en chatouillant sa glotte. Plusieurs fois elle ressent un haut le cœur mais n'arrive pas à aller jusqu'au bout. Elle ne l'a pas fait depuis des mois et elle est maladroite. La douleur infligée par les doigts au fond de sa gorge lui donne l'impression de se faire couper par des milliers de petits couteaux. Enfin elle sent son estomac sursauter comme s'il était attaqué. Son corps est secoué dans tous les sens, elle enfonce davantage ses doigts et en une seconde elle se retrouve la tête dans les toilettes à vomir le peu de choses qu'elle a avalé ces deux derniers jours. Elle tousse, s'étrangle et accroche ses mains de chaque côté des toilettes pour se maintenir. Dès que c'est terminé elle regrette. Elle était si fière de ne plus faire ça. Mais elle ne peut pas nier le bien que cela lui apporte. Le mal qu'elle s'inflige lui fait oublier tout le reste. Elle ne pense plus aux derniers mois. Elle reste à genoux et attend que son corps se calme. Les tremblements prennent parfois quelques minutes avant de s'atténuer. Aujourd'hui ils durant longtemps. Son corps a perdu l'habitude. Elle se lève doucement en s'appuyant contre le mur, elle est épuisée. La serviette a glissé du miroir, elle croise son reflet. Les cernes sous ses yeux lui semblent plus profonds que tout à l'heure. Elle passe sa main sur son visage. Elle sait qu'elle ne peut pas continuer comme ça, elle est en train de se perdre. Elle enfile un jeans et un sweat court noir avant de se diriger vers le canapé. Elle s'affale dedans et allume une nouvelle cigarette. Le téléphone coincé contre son épaule elle tape machinalement un numéro. Elle ne se confie qu'à une
Personne et là elle sent qu'elle a besoin de parler. D'aussi loin qu'elle se souvienne elle a toujours connu cette fille. C'est plus qu'une amie maintenant, elles ont traversé toutes les étapes difficiles de leur vie ensemble. Lorsqu'elle attend sa voix à l'autre bout du téléphone elle ne peut s'empêcher de sourire, rare sont les personnes qui parviennent à apaiser ses démons. Mais elle doit lui dire la vérité.
- Je suis désolée. J'ai recommencé.
Elle n'a pas besoin de donner plus d'explications, elles se connaissent mieux que quiconque. Le soupire dans le combiné lui arrache le cœur. Elle déteste quand elle est fâchée. Alors elle lui promet. Elle lui jure qu'elle ira voir quelqu'un, un spécialiste, un psy. Elle se fera aider et bientôt elle sera soignée. Elle l'entend s'énerver puis doucement la conversation se calme. Elles se jurent toutes les deux qu'il ne leur arrivera rien de grave. Elie raccroche, elle ferme les yeux un instant. Elle devrait prendre rendez-vous, appeler le psy. Mais elle ne le fera pas, elle le sait et sa meilleure amie le sait également. Elle a déjà essayé de parler et on ne l'a pas écouté.
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Avant, j'avais peur du noir.
Mystery / ThrillerCar la violence n'a pas qu'un unique visage, c'est l'histoire de cette femme qui les a croisé tour à tour.