Vous ouvrez les yeux subitement, la respiration saccadée. Vous venez de faire un terrible cauchemar qui vous angoisse encore, mais peu à peu vous redécouvrez avec soulagement le décor de votre chambre. Allongé sur le coté, les jambes repliées, votre dos, votre torse, vos jambes, vos bras vos mains, tout votre corps est recouvert de sueur. La peur vous cloue au lit, et vous êtes dans l'incapacité totale de bouger. Vos entrailles se serrent. Au bout de plusieurs minutes qui vous semblent des heures, pris d'un soudain élan de courage, vous tendez alors une main hors de vos draps, qui sont pour vous la seule barrière contre tous ces montres fictifs que vous croyez roder dans l'ombre, et vous allumez votre lampe de chevet. Sa lumière illumine tout à coup la pièce qui vous semble déjà plus chaleureuse, mais elle ne parvient pas à vous détendre complètement, et malgré votre épuisement vous ne parvenez pas à vous rendormir, sombrant dans un tourbillon de chimères lent et effrayant, sans fin, qui vous attire, toujours plus profond dans les peurs reculées de votre esprit, et plus vous vous enfoncez dans cette spirale sordide, moins la lumière de votre lampe pourtant si proche vous parvient et peu à peu vous fermez vos yeux, trop lourds pour rester ouverts et désormais déjà trop fermés pour pouvoir à nouveau les rouvrir...
Un réveille sonne. Il est six heures trente. Vous le coupez immédiatement, vous étiez réveillé depuis longtemps. Bien que peu motivé, vous vous tirez hors du lit et marchez lentement en titubant l'esprit peu clair pour vous chercher une veste chaude. La température glaciale de la pièce vous réveille un peu plus. Mollement vous vous traînez jusqu'à la cuisine pour prendre votre petit déjeuné, heureux du liquide chaud qui coule dans votre gorge et qui vous réchauffe lentement.
De retour dans votre chambre vous vous habillez et prenant un instant pour vous regarder dans le miroir, vous vous figez de stupeur. La fatigue vous affaiblit, mais son accumulation commence à marquer votre visage. D'énormes poches noires vous décorent les yeux de leur sale couleur verdâtre par endroit, et vous semblez déjà vieilli. Malgré le fait que ce soit votre propre corps vous ne vous reconnaissez plus vous même : les muscles, la peau de votre visage sont fatigués et mous, vous donnant un air plus affreux que jamais, et la pâleur de cette même peau serait digne du plus beau macchabée. À nouveau votre ventre se serre. Un soupir l'accompagne, vous êtes éreinté.
Votre journée commence, maussade et semblable à toutes les autres. Un quotidien répétitif et inintéressant. Le seul réconfort que vous trouvez est auprès de vos amis qui parviennent de temps en temps à vous faire oublier le poids qui pèse en vous. Quelque fois vous rigolez comme eux, d'un rire franc et détendu ne pensant qu'au présent et rien de plus. Mais ils ne sont pas dupes, ils voient votre mal être, et s'inquiètent. Seulement rien n'y fait, et si ce n'est s'occuper de vous comme ils le font déjà, ils ne peuvent rien de plus pour vous. Et vous ? Vos gestes se fonts lents. Ils ne comprennent pas mais vous si. Vous savez pertinemment ce qui ne va pas, mais ne faites rien pour l'arranger. Vous n'y pouvez pas grand chose après tout, vous êtes Son prisonnier.
Depuis des mois maintenant votre ventre héberge une Créature immonde, née de vos problèmes, immatérielle et pourtant si réelle que vous êtes sur qu'Elle vous dévore vivant. Peu à peu, Elle a glissé ses tentacules répugnantes jusqu'à vos tempes, où elle se nourrit de votre malheur, vous empêchant d'aller mieux, vous empêchant d'entreprendre tout ce qui pourrait la déloger. Et rien n'y fait, rien n'y change, irrémédiablement la Bête vous ronge. Ce qui vous terrifie réellement, n'est plus tant de l'héberger car vous vous êtes habitué à sa présence. Non, ce qui vous glace le sang c'est de la sentir grandir, car elle gagne de plus en plus de terrain chaque jour.
Et votre journée se termine comme tous les jours.
Cependant, vous n'êtes pas soulagé de rentrer chez vous. Au contraire, car c'est la journée qui vous offre votre véritable repos, car c'est là que sont les véritables distractions qui permettent à votre esprit d'oublier un instant votre existence. À votre domicile, vous retardez le plus le moment de vous coucher. Les heures tournent, indifférentes à votre tracas, prenant même un malin plaisir à défiler plus lentement qu'elle ne devraient.
L'eau de la douche que vous prenez à présent est un bon remède pour vous calmer, vous le sentez : la Créature fond pendant quelques minutes sous l'eau chaude, vous laissant un court instant de repos. Vous respirez pleinement l'eau lavant,votre corps malade, ivre de fatigue et de peur.
Vos peurs ? Vous n'êtes même plus sûr de ce qu'elles sont. Peur du changement imminent dans votre vie, peur de votre quotidien, peur de votre famille qui semble n'être faite que pour se déchirée, peur pour votre ami dépressif, peur pour votre carrière, peur d'être incompétent, peur des autres, peur de ne pas pouvoir dormir, peur d'avoir peur, d'être confronté à vos peurs !
Mais le sommeil ne se repousse pas indéfiniment. Il est plus de minuit. Vous vous laisser tomber dans votre lit, épuisé. Vos yeux se ferment quand soudain vous les rouvrez. La fatigue vous a quitté. Vos craquez, c'en est trop.
Vous vous roulez dans votre lit, comme si cela pouvait chasser tous vos problèmes, violemment vous vous retournez d'un coté puis de l'autre, complètement fou. Les larmes vous strient le visage de leurs barreaux de sel, les draps vous entourent d'un étau tyrannique et d'un coup tout aussi violent, vous vous stoppez, sur le coté, recroquevillé comme un enfant. La Bête en vous grandit. Et là, seulement là, vous réalisez. La peur tort encore plus vos entrailles et vos muscles se tendent, se compriment plus fort qu'ils ne l'ont jamais été. D'abord ce sont les muscle de votre bas ventre, puis ceux du ventre. Alors votre estomac se réduit à un concentré de terreur et vous ne parvenez plus à détendre tout votre ventre. Puis l'angoisse se répand entre vos côtes comme un poison, dans vous poumons, et paralyse votre cœur. Et ce sont maintenant tous vos membres qui se replient. Tout votre corps n'est qu'une boule tendue de peur, malgré que vous essayez vainement de vous calmer. Il est stupéfiant que vous respireriez encore, tant vous êtes terrifié, car vous venez de réalisez que cette Chose vous consumait à petit feu, lentement, inexorablement, et que si vous ne faisiez rien, vous mourrez tout aussi lentement, dans une peur que vous n'avez encore jamais connu malgré toutes vos précédentes nuits.
Chaque jour depuis des mois maintenant votre quotidien se répète inlassablement, et chaque nuit vous ne dormez presque plus, chaque matin vous vous réveillé aussi fatigué que la veille, car chaque soir vous avez de violentes crises d'angoisse, et chaque jour sera le même, schéma tyrannique sans fin.
Combien de temps pourrez vous encore tenir ?
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Regards sur les Hommes
Short StoryRecueil d'histoires sur nos relations avec nous même et les autres, sur ce qui nous relie, nous sépare , nous torture, nous passionne.