La lettre

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Londres, 1927.

Dans un quartier de Londres, à l'intérieur d'un des innombrables immeubles au style Victorien, parmi la multitude de fenêtres éclairées par ce soir d'hiver, une femme se trouve derrière sa machine à écrire, une tasse de thé en mains.

Elle sirote tranquillement son thé, parcourant un livre de littérature anglaise.
Elle se lève pour allumer quelques bougies, puis se remet à lire.
Sur le mur tapissé d'un beige clair et doux est accroché le portrait d'une bergère avec ses moutons. Au coin de la pièce unique se trouve une vieille armoire à glace, ayant sûrement appartenu à la grand-mère du propriétaire.
Non loin le feu faiblard d'une cheminée en pierre crépite faiblement, réclamant une buche de plus. Une bibliothèque remplie de grands classiques de bon nombre de régions attend patiemment que quelqu'un daigne s'intéresser à un ouvrage de la collection. On pourrait presque s'attendre à recevoir un conseil de la part du meuble rempli de poussière.
Un tapis recouvre le parquet froid de ses couleurs mauves et bordeaux. Au bord de la fenêtre se trouve une broderie blanche, sur laquelle on y a posé un vase contenant une belle fleur rose avec un penchant orangé au centre.
La jeune femme va y déposer sa tasse de thé et son livre, qu'elle laisse ouvert.
Puis, elle s'installe.

On entend le bruit mécanique généré par la machine à écrire, dans le bureau silencieux.

La jeune femme y déplace ses doigts de touche en touche, donnant l'impression d'être plus rapide que son ombre.
Un soudain éclat illumine les lieux un instant, avant de s'éteindre et de laisser place au grondement un peu tardif du tonnerre.
Une rapide bourrasque éteint les bougies, et seules les braises dans la cheminée éclairent à présent la pièce, qui s'assombri.
Petit à petit, l'air de prendre leur temps, les gouttes tombent sur la vitre.
Le doux et rassurant clapotit de l'eau donne sa mélodie aux lieux, comme si grâce à lui les secondes ralentissaient, comme si le Temps lui même s'arrêtait un instant dans sa course contre la montre pour admirer cette eau bénie tombant du ciel.

La femme suspend ses mains en l'air l'espace d'un instant pour savourer ce moment, puis reprend sa lettre.
Elle marmone que c'est important, qu'il ne faut pas qu'elle soit en retard cette fois ci, ou Monsieur le Ministre sera encore fâché.

Soudain la douce pluie se transforme en un violent orage. La pluie battante se fracasse sur la fenêtre délavée par le temps. Un nouvel éclair retentit violement, faisant trembler les meubles. La jeune femme frissonne lorsqu'un courant d'air froid passe sous la porte mal isolée. De la buée se forme sur la fenêtre crissante, et la femme accélère, souhaitant rentrer au plus vite.

Elle suspend à nouveau ses mains dans l'air devenu glacial pour repositionner la monture de ses lunettes rondes sur son nez droit.

Elle reprend sa rédaction, le souffle court, ne sachant pas vraiment si elle est épuisée ou bien si elle a peur de trop faire de bruit dans cette pièce de plus en plus sombre.

La porte en vieux bois claque, le parquet grince, les feuilles parfaitement empilées sur le bureau s'agitent dans tout les sens.
Un pétale se détache doucement de la fleur.
Le bruit incessant des touches encrant le papier jauni couvre les pas des nombreux passants, chacun armé d'un parapluie ou brandissant un sac au dessus de sa tête, s'agitant tous en quête d'un espace sec, à l'abri de la pluie.
Le tonnerre ne cesse de gronder, encore et encore, et le Temps a repris sa course il y a bien longtemps déjà, fuyant désespérément les nuages sombres qui recouvrent la ville de Londres en cette nuit sans lune de novembre.

Et la jeune femme continue sa lettre, accélérant progressivement. Le vent gémit, demandant du répit. Il emporte avec lui les innombrables feuilles mortes qui sillonnaient les rues auparavant, ne laissant derrière lui qu'une forte odeur de boue fraiche et de chien mouillé.

Et le son des touches résonnent dans Londres, sonnant comme les coups fatals de Minuit ratrapant le Temps qui s'enfuit la queue entre les pattes.

Les touches s'enfoncent l'une après l'autre, chacune vide de sens mais à elles toutes formant un tout, une lettre.

La femme n'entend plus le martellement de l'averse, trop concentrée sur sa machine à écrire, changeant de ligne avec rapidité et précision, choisissant ses mots avec soin.

Sincerely,
The Minister.

Et Minuit rattrapa le Temps.

~Ily

Le cercle des tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant