Chapitre 1

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AMÉLIA

Toronto, Canada

Mardi 14 mai

— Jonathan Grant est arrivé, m'annonce Kim d'une voix déformée par l'intercom.

Oh merde. Pas déjà...

Je fonds sur ma chaise, souhaitant me liquéfier sur le champ et disparaître. Pourquoi Cassandra devait-elle tomber malade aujourd'hui ? Le jour de son rendez-vous avec Jonathan Grant ! Jonathan Grant, putain ! Le PDG de Grant Buildings, l'une des plus grandes entreprises de Toronto, et notre plus prestigieux client.

Avec Cassandra, je suis la seule à avoir travaillé sur son projet, c'est donc à moi que revient l'honneur de le rencontrer. Mais je ne veux pas ! Je déteste ça !

Le menton appuyé sur le paravent qui sépare nos bureaux, Nina me fait les gros yeux.

— Debout, espèce de pâte molle ! me gronde-t-elle. Relève-toi ! Les murs sont en verre je te rappelle.

Je me redresse sur mon siège, tâchant de rassembler quelques miettes de courage à travers ma panique grandissante.

— Je vais merder, c'est certain...

— Dis pas ça, grogne mon amie en fronçant les sourcils. Tu vas lui présenter les esquisses que TU as dessinée. Et je mets une emphase sur le TU, parce que Crass prend toujours tout le mérite à ta place. Tu as enfin une chance de faire valoir ton talent !

— Je n'ai jamais rencontré de clients ; je ne suis pas de taille à affronter ce type !

— Tu servais des gens quand tu travaillais dans ce resto minable, non ? dit-elle en posant ses mains sur ses hanches.

— Oui, et alors ?

— C'est la même chose. Et tu devrais te magner le cul parce qu'il t'attend, ma belle.

Elle pointe le bloc de verre en plein centre de DesignCo : la salle de conférence. Je déglutis en apercevant l'homme qui pianote ses doigts sur le plateau de la table en observant les lieux d'un air sérieux et inexpressif. Quelle merde...

J'inspire profondément, espérant que cela me redresse un peu la colonne vertébrale, puis je m'encourage.

— Ok. Je vais y arriver.

— C'est ça, soit positive, m'appuie Nina en tapotant mon épaule.

Pendant les quelques pas qui me séparent de la porte de la salle, je tente encore de me convaincre que j'en suis capable. J'entre dans la pièce sans faire de bruit, mes dessins plaqués contre mon ventre. Monsieur Grant regarde ailleurs, ce qui me permet d'observer à qui j'ai affaire. Son veston gris cache de larges épaules et des bras costauds. Ses courts cheveux bruns sont bien coiffés et les bandes grisonnantes au-dessus de ses oreilles lui apportent un petit quelque chose de charmant pour un homme qui doit débuter la quarantaine.

— Be-bonjour, bafouillé-je en m'arrêtant devant la table.

Merde ! Ça commence mal...

Ses yeux bleus, presque gris, se posent sur moi et me paralysent sur place. Le grand – et imposant – Jonathan Grant se lève et s'avance pour me tendre la main d'un geste naturel. En dépit de ses traits sévères, une sympathie émane du sourire qu'il soulève.

— Bonjour, répond-il en m'offrant une poignée ferme et presque douloureuse. Ravi de vous rencontrer, mademoiselle... ?

Les tonalités graves de sa voix font trembler mes os malgré une étrange envie de l'entendre à nouveau.

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