Eden se regarde dans le miroir. Il rencontre deux yeux ambrés qui le dévisagent durement. En balayant son regard sur toute sa personne, il prend une longue et lente inspiration. Rien ne dépasse. Pas un fil, pas un pli, pas une mèche. Il ressemble à une peinture trop lisse, sans vie. Cette pensée le dérange un peu. Il ne se sent pas particulièrement tendu, et pourtant il fait étrangement penser à un prédateur, les membres crispés, prêt à bondir sur tout ce qui bouge.
Alors qu'il allait détourner ses prunelles de son reflet, un sentiment le prend soudain, comme si une porte dans son esprit venait de s'ouvrir pour laisser un déluge d'angoisse se déverser en lui. Des brides d'images accompagnées par une grande appréhension se bousculent en lui, sans qu'il ne puisse rien contrôler. Il soupire, habitué à la sensation.
-Si tu pouvais arrêter de penser à ça deux minutes, ça me permettrait de respirer un peu, dit-il les yeux toujours fixés sur sa silhouette.
-Ta gueule, grogne une voix derrière lui. Désolé de ne pas sauter de joie en apprenant que je vais risquer ma vie.
Il se retourne pour se retrouver face à un homme d'une quarantaine d'année, véritable montagne de muscles, affalé dans un fauteuil rapiécé de toutes parts. Ses sourcils sont si froncés qu'ils forment presque un V parfait, au-dessus de deux iris aussi noires que les plumes d'un corbeau. Son air préoccupé distrait plus Eden qu'il ne l'inquiète. Pour le lui montrer, il fait une moue méprisante en s'approchant de lui.
-"Risquer ta vie" ? Tu exagères pas un peu ? Tu n'es pas aussi important que tu ne le penses, Zorro.
-M'appelle pas comme ça, tu sais que je déteste, gronde une nouvelle fois le géant. Et pour info, je suis aussi important qu'Octave, surtout pour ce genre de situation.
-C'est ta femme qui fait tout. Arrête d'essayer de te sentir indispensable.
Zorro se lève, dépassant facilement d'une tête et demi le jeune homme face à lui. C'est probablement la personne la plus grande qu'Eden connaisse, après son père. Sa posture est impressionnante, avec ses bras plus épais que des troncs et ses cuisses pouvant réduire n'importe quel matériel en bouilli d'une simple pression. Eden se rappelle que lorsqu'il était petit, Zorro lui faisait tellement peur qu'il passait des heures entières à imaginer de grands détours à travers le Castrum pour ne pas le croiser. Et dire qu'à présent, c'est son Mentor...
Zorro le défie un petit moment du regard. Comme toujours, les yeux couleur ténèbres de son Dominus sont terrifiants. Mais il y a bien longtemps qu'Eden ne frissonne plus face à ce regard. L'angoisse qu'il a perçue auparavant se mue en une sorte d'agacement mêlé à de la jalousie. En ressentant cela, Eden étire un peu ses lèvres.
-Me dis pas que t'es vexé, Zorro ?
Celui-ci détourne aussitôt le regard, le visage complètement renfrogné.
-Arrête de lire dans mes pensées, tu sais que je déteste ça.
Eden lève les yeux au ciel. Il pivote à nouveau vers le miroir pour se contempler une dernière fois. Le pli de son col s'est un peu froissé à cause du mouvement. Il vient le lisser précautionneusement, pour ressembler de nouveau à un portrait plat et indéchiffrable.
-Il y a beaucoup de choses que tu détestes, dit-il d'une voix traînante. Si je t'écoutais, je ne pourrais plus te parler.
Il n'a pas le temps d'anticiper la bourrade de Zorro que celle-ci s'abat violemment sur son dos, manquant de le faire défaillir. Il a fait exprès de mettre plus de force que d'habitude, mais Eden ne relève pas. Après tout, il l'a provoqué.
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Lupus Pretiosa
WerewolfDes récits de loup-garou, il en existe des tonnes. Pas besoin de décrire cette population qu'aucun humain n'a vu, mais qui pourtant en est fasciné. A Torneville, petit village isolé du reste du monde par une épaisse forêt, ce genre d'histoire ne fa...