JOUR 1 Ce matin-là

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Seule personne ayant répondu à mon annonce pour le poste d'assistante, Linda était assise devant l'ordinateur du bureau et pianotait sur le clavier. Elle s'était avérée une pro de la recherche d'information sur le web, un domaine qui me faisait grandement défaut. Même sans ses talons aiguilles, Linda me dépassait d'une tête, en plus d'avoir la poitrine, les jambes et la garde-robe d'une starlette américaine. Un léger accent russe transparaissait dans sa voix lorsqu'elle parlait français.

Étant restée vague sur ses origines et son passé, il était évident qu'elle n'avait pas besoin de travailler pour vivre. Elle portait des chaussures qui auraient pu payer trois fois mon loyer. Je n'ai jamais vu cette fille deux fois avec le même vêtement. Célibataire et sensible au regard de la gent masculine, elle avait parfois deux rancards le même soir et un nouveau petit copain aux deux ou trois jours. J'étais incapable de suivre le fil de sa vie amoureuse, Conrad étant remplacé par Giovanni dès que je réussissais à retenir le nom d'un de ses soupirants.

Au maigre salaire que je lui donnais, je m'étonnais chaque matin de la retrouver assise derrière l'unique ordinateur de mon bureau de détective, véritable placard à balais coincé entre la taverne Jos Dion et une friperie, sur la rue St-Joseph. J'avais à peine réussi à y entrer un bureau, un divan en cuir et une table à café, objets abandonnés et trouvés sur le trottoir en face de l'immeuble, un jour de pluie.

J'étais assise sur le divan et feuilletait un dossier lorsqu'un: «Elle me trompe encore, la crisse!», interrompit ma lecture.

Un homme se tenait au milieu de la pièce, le torse bombé, les poings sur la hanche. Bottes d'armée, jean troué, t-shirt de moto, ses cheveux longs et noirs avaient l'air d'avoir été démêlés pour la dernière fois en 1995, juste avant les années grunge. Il portait la moustache et semblait furieux. Le look typique du métalleux qu'on voit encore circuler dans les rues de la Capitale-Nationale.

Quand je lui fis signe de s'assoir, il croisa les bras et me toisa de bas en haut, les sourcils froncés. Ça m'arrivait tout le temps. Comme je ne ressemblais pas à un détective privé, j'avais parfois de la difficulté à me faire prendre au sérieux. C'est pourquoi j'attirais souvent les clients les plus désespérés.

Au début, j'avais essayé de porter le veston noir, pantalon noir et chemise blanche pour paraître plus professionnelle. Or, rien n'y fit et par la suite, je m'étais laissé aller tranquillement. Aujourd'hui, je portais une chemise carreautée, une camisole pour homme X-Large, des leggings, et j'avais à peu près pris le temps de me coiffer. À ce moment même, mes cheveux étaient probablement dans les airs.

De son côté, Linda, avec sa chemise blanche transparente qui mettait en évidence son soutien-gorge noir, sa jupe cigarette et ses talons hauts, ressemblait à un mannequin paradant dans un défilé à Milan. Aussi, je la soupçonnais d'aller chez la coiffeuse tous les matins.

Je saisis un calepin, et l'homme prit place sur le divan, avant de poser ses bottes sur la table à café.

—C'est quoi son nom? lui demandai-je.

—À qui? me répondit-il.

—Euh... à la fille... qui vous trompe.

—Sandy Love, dit-il en bombant le torse.

—C'est son vrai nom, ça?

—Sandrine Plamondon. Sandy Love, c'est son nom d'artisssss...

—C'est votre copine?

En guise de réponse, il émit une sorte de grognement. Je pris cela pour un oui.

—Et vous pensez qu'elle vous trompe? questionnai-je en me reculant un peu par précaution.

M pour MétalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant