4-Intersection (entre quatre âmes très bizarres)

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Arthur

Si je n'avais pas tourné la tête, cet événement serait passé inaperçu. Personne n'aurait rien vu. Le monde aurait continué à tourner, et  Will aurait cassé la gueule à ce garçon sans aucune once de remords, et je me serais rongé les sangs pendant trois jours pour savoir si je lui en voulais vraiment d'être allé se battre pour mon honneur, ou d'avoir trouvé une excuse pour éclater des gens.

Mais il y'a eu ce moment. Ce moment où j'ai vu une silhouette, à une centaine de mètres, tomber comme une masse dans l'eau. Dans le lac de Central Park.

  Alors, je ne sais pas si j'ai fait ça pour m'échapper de la situation tendue où je me trouvais, ou simplement par un élan d'humanité, mais à la seconde où Will s'est avancé vers le tatouage humain, j'ai piqué un sprint en direction du lac.

  J'ai couru, à m'en déchirer les poumons, sur une distance qui m'a paru plus grande que toute ma naïveté, et ce qu'elle impliquait quotidiennement dans ma vie. J'ai couru, comme si je volais et que je n'avais aucun contact avec le sol. J'ai couru, comme si je ne pensais pas au fait que Will n'était toujours pas bon pour moi, en dépit de tout ce que je me racontais.
Et je suis arrivé sur la rive, presque exténué, non pas par l'effort, mais par la volonté que j'avais mis à m'extraire d'une situation qui m'embarassait.

  En chassant mes pensées affreusement déprimantes, je commence à jeter un œil paniqué à la surface. Que s'est-il passé ? Est-ce que cette personne a sauté en toute conscience ? Est-ce que je viens d'assister à une tentative de suicide ?
  Ce ne serait pas le moment d'arriver trop tard !

  Par un don du ciel, ou une chance incroyable, j'aperçois ma pauvre victime, brouillée par l'ombre, à quelques décimètres de profondeur.

  Je n'ai même pas besoin de plonger pour la récupérer, même si le poids que je tire m'indique plutôt une personne de sexe masculin. À deux doigts de me rompre les os, habité par mon génial syndrome du sauveur, aux azimuts, je recule en tirant le garçon par ses bras, en espérant de toutes mes forces ne pas basculer en avant.
  Si jamais ça arrive, c'est nous deux qui finiront au fond. Mon cœur recommence à battre à la chamade. J'ai le chic pour les causes perdues, hein ?

-À l'aide !

Le parc n'est pas exactement vide, mais évidemment, personne ne semble trainer de ce côté-là. Super.

Incroyable mais vrai, l'adrénaline qui me permet de ne pas m'évanouir réussit à sortir l'inconnu en entier de sa prison d'eau glaciale. Je tombe sur le dos en râlant comme un mort, mais me calme très vite, quand le bord de mon crâne heurte une pierre.

  Je m'autorise à lâcher un cri de hyène, tout en ramenant mes mains trempées et froides sur ma blessure, bien parti pour ne pas me relever avant l'année suivante. Mais le sort en décide autrement, puisque je reçois tout à coup des coups de pied sur la jambe.

  Je me rassois, de mon mieux, pour découvrir que le presque-noyé se débat, comme un diable, aux prises de l'imaginaire. On dirait presque qu'il fait un cauchemar. Une crise d'angoisse ? De panique ? Je n'y connais rien, moi !

  Mais je m'approche tout de même du gars, qui se révèle être de la même génération que la mienne. Ses cheveux bruns ne ressemblent plus à rien et sont collés à son front. Si je me concentre au maximum, je pourrais presque dire qu'il me ressemble un peu. La souffrance sur ses traits me donne mal au cœur. Il tremble tellement et ses membres sont si agités qu'il en donne presque des coups partout autour de lui.

Ce spectacle me déplaît fortement. Je ne sais pas trop quoi faire. Jusqu'à ce qu'il entrouvre les yeux, si vite, que je manque encore de retomber par terre. La façon dont il respire me fait très peur, en fait, c'est surtout la façon dont il me regarde, comme si j'avais tué ses parents, qui me déstabilise.

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