Mon Dieu, qu'il fait froid.
Je ne suis pas croyante, mais il est de ces moments où le Ciel semble être tout ce qu'il vous reste. C'est paradoxal: se tourner vers l'irréel pour se maintenir dans le réel.
Je regarde ce qui m'entoure, observe le ciel sombre, orageux, qui crache sur moi ses larmes d'eau croupie par la pollution environnante, et souffle tout l'air vicié de mes poumons, avant de me relever. La ruelle où je me trouve est sombre, simplement éclairée par les lumières des appartements qui la compose; le pavé qui la sème est noir, glissant, irrégulier, et une flaque d'eau à l'aspect douteux me renvoie un visage déformé par les gouttes de pluie. Après avoir remis ma capuche en place, je décide de revenir dans la rue, et de rejoindre mon appartement, qui se trouve un peu plus haut.
Arrivée chez moi, je retire ma capuche, jette mes clefs sur le petit guéridon dans l'entrée, et me dirige vers la salle de bain, sans même prendre la peine d'enlever mes chaussures : trempée comme je suis, cela ne servirait pas à grand-chose.
J'allume la lumière dans la petite pièce noire, me dirige vers mon unique miroir jauni par le temps, et pousse un soupir d'exaspération devant mon reflet: mon visage, trempé, est tuméfié, gonflé de partout par diverses bosses et hématomes, et ma lèvre, tout aussi gonflée, saigne encore. Même mes longs cheveux bruns aux reflets roux, collés sur ma peau par la pluie, et mes grand yeux d'un noir profond ne parviennent pas à contrebalancer ce reflet pitoyable.Après avoir observé mon visage sous toute ses coutures, je décide de me déshabiller. Là aussi, le constat est désastreux : tout comme mon visage, mon corps est couvert d'ecchymoses et de coupures en tout genre.
Au moins, je semble n'avoir rien de cassé. Presque soulagée par ce point, je rentre dans ma douche, et fait le point sur ce qui m'est arrivé.De nos jours, la violence est quotidienne, et les vols comme celui que j'ai subi sont habitude. La plupart des gens, réduit à un état de pauvreté morbide, n'a d'autre choix que de dérober à ceux ayant un peu plus de chance, comme moi, ce qu'ils ont. Se faire passer à tabac pour quelques khrysos est aujourd'hui semblable à ce qu'était se faire insulter dans la rue hier. Et, grâce aux soins médicaux gratuits et efficaces auxquels chacun a désormais accès, les marques que laissent ces lynchages sont rapidement effacées.
Avec le développement du transhumanisme, une fracture grave est soignée en deux jours pour une personne ne pouvant payer l'hôpital. Pour ceux ayant suffisamment d'argent, cela va d'une journée, à deux heures.
Pour moi, avec ces quelques plaies et hématomes, je devrais avoir à rester chez le médecin quelques heures.On pourrait croire qu'avec de telles avancées dans la médecine, et le développement exponentiel des facultés humaines permis par le transhumanisme, la vie n'est que plus belle, que les gens vivent plus longtemps, plus heureux, mais il n'en est rien. Ces avancées n'ont fait que commencer à mettre en place un fossé entre les différentes classes sociales, que la guerre et le nationalisme ont fini de creuser.
La Guerre... Officiellement, elle n'en était pas une. Officiellement, c'était la « Grande Tentative de Reconquête des Territoires », mais dans les faits, il s'agissait d'une vraie troisième guerre mondiale. C'est d'ailleurs ce nom que la population a préféré retenir, bien que le Gouvernement s'en tienne à sa formulation.
Dès que l'Etat eu accès aux technologies de développement humain, il forma des soldats d'élite, auxquels diverses armes avaient été implantées en sous-cutané, afin de partir combattre au nom de la paix. Quelle ironie..
On eu dès lors droit à des scènes de combats improbables, et d'une violence rare.À la télé, les chaînes de propagande diffusaient, aux heures de pointes, en guise de spot publicitaire, des exécutions d'ennemis, orchestrées par ces soldats.
Au JT, on assistait à des bataillons entiers s'envolant presque, à plusieurs mètre du sol, déployant de lourds fusils, mitraillettes, ou autres armes longue-portée, sortant de leurs propres corps pour décimer les rangs d'opposants, sans leur laisser aucune chance de survie.Les ennemis en questions étaient une résistance s'étant formée contre le pouvoir dictatorial qui régissait alors le pays. Au début de la guerre, se fut une véritable hécatombe. Puis, au grès d'alliance avec de puissants pays ne voyant pas d'un bon œil ce nouveau gouvernement, les résistants réussirent à vaincre, et à prendre le contrôle de plus de la moitié de l'Etat.
Dès lors, le Gouvernement ordonna l'arrêt des combats, la fermeture des frontières, et stoppa tout négoce avec les pays extérieurs à l'Etat. Cette coupure avec le reste du Monde, combinée aux ravages de la Guerre, et aux mesures étouffantes du Gouvernement, signa la fin de la prospérité du pays dans lequel je vis.
Désormais, seule la violence est maîtresse. Chômage, intolérance, pauvreté sont les fléaux de notre société.
La liberté n'existe plus. La seule permise est celle accordée par les diverses drogues sur lesquelles le Gouvernement ferme les yeux.
Une majorité écrasante de la population vit dans des conditions insoutenables, tandis que les membres les plus proches du Gouvernement, les plus grands médecins, et les Hommes créant les Augmentations vivent dans une opulence qui dégoûteraient les plus riches.
La Justice est morte sous nos yeux, assassinée par le Gouvernement, tandis que nous mangions tranquillement devant nos télés en attendant les résistants.Nous aurions dû agir, nous soulever, mais désormais, il est bien trop tard.
VOUS LISEZ
K
Short Story« Je regarde ce qui m'entoure, puis observe le ciel sombre, orageux, qui crache sur moi ses larmes d'eau croupie par la pollution environnante, et souffle tout l'air vicié de mes poumons, avant de me relever. » Il s'agit d'une petite nouvelle, écrit...