C'était une ombrageuse journée de printemps. L'empyrée, si bleu à l'accoutumée, s'était revêtu de son sinistre caban gris cendre, bien ordinaire à la saison des moussons. Quant au Soleil d'avril, il semblait s'être entièrement dérobé derrière les épais nuages du vêtement céleste. Ainsi, on pouvait sentir l'atmosphère devenir de plus en plus pesante. La douce brise matinale aurait bientôt disparu pour laisser place à un déchaînement de la nature, digne de la plus grande rage d'Éole. Dans sa fureur, il enverrait les vents ravager les terres fertiles de cette contrée, balayer les champs jaunis et détruire les chaumières trop vulnérables. Lorsque les cloches de l'église retentirent, l'alerte était officiellement lancée. Les parents inquiets rappelèrent leur progéniture dissipée ; les fermiers rentrèrent leurs bêtes dociles ; les commerçants transférèrent leurs marchandises en lieu sûr et le curé sauva les icônes les plus précieuses pour se réfugier dans la crypte.
La panique avait gagné le village. Tandis que les rêveurs et les paresseux terminaient de consolider les protections de leur foyer, les braves gens étaient déjà terrés dans le réseau souterrain commun, construit à la toute première catastrophe de ce genre. Tremblant et priant le Seigneur de leur accorder sa miséricorde, les villageois se préparaient au pire et ne savaient pas combien de temps ils resteraient sous terre. En effet, contrairement aux précédentes tempêtes, celle-ci comportait des présages particulièrement funestes. La disparition des rayons solaires, la vigueur du vent aussi matinale mais surtout la nuée de corbeaux perchés sur le grand chêne. Toute la contrée était à présent encerclée par l'obscur manteau du ciel. Ou presque...
A quelques lieues du village, un phénomène étrange se produisait. Comme hors du temps et de l'espace, une forêt verdoyante était épargnée des épais cumulus qui voilaient le ciel, partout autour. Ici, le printemps maîtrisait la nature. Son harmonie et sa douceur prévalaient. Des chênes, des hêtres, des frênes et des érables centenaires se dressaient autour d'un sentier battu. Les rayons chatoyants du soleil se perdaient dans les feuilles des arbres ce qui provoquaient des taches d'ombre et de lumière sur le sol.
La faune et la flore abondaient dans ce havre de paix naturel. Des buissons où poussaient de délicieux fruits notamment des baies, des mûres, des fraises des bois ou encore des framboises parsemaient le sol et devaient sûrement rassasier les voyageurs passant par là. De plus, des rivières cristallines venaient abreuver les différentes espèces peuplant ces bois. De la canopée azurée, s'échappaient de mélodieux chants d'oiseaux.
Cependant, une petite personne troublait la sérénité singulière de cet écrin de verdure. Si, à travers les petites branches des buissons, l'œil ne pouvait distinguer que quelques mèches de couleur miel s'agiter, l'oreille était capable de discerner des comptines fredonnées en provenir. Assise dans le buisson fruitier, une fillette d'une dizaine d'années était en train de se délecter de poignées de framboises.
Petite aventurière en herbe, elle s'était éclipsée très tôt du village et n'avait donc aucune idée de ce qui se passait en dehors de ces bois. Ce n'était pas la première fois qu'elle pénétrait dans cette forêt. A l'origine son terrain de jeu préféré, il était vite devenu le lieu de ses plus grandes épopées. Entre merveilleuses découvertes et aventures épiques, la jeune fille était déjà une héroïne valeureuse. Mais elle ne savait pas encore qu'aujourd'hui elle allait faire un voyage incroyable.
La jeune fille se nommait Sybille. Ses prunelles étaient d'une rare couleur émeraude et ses yeux brillaient d'une lueur malicieuse. Sous une simple robe de lin blanc, sa peau blanche brunie par le Soleil montrait sa tendance à passer la majorité de son temps à l'extérieur. Quant à sa chevelure, elle était d'une brillante teinte miel et souvent nouée en une longue tresse, bien plus pratique pour courir et s'aventurer partout.
Dès qu'elle eut terminé ses fruits rouges, elle bondit hors du buisson et s'élança à toute allure sur le chemin de terre. Le regard rivé vers l'horizon, elle cherchait une piste qui la mènerait vers une nouvelle quête. Elle s'arrêtera soudainement pour dévaler une pente qui menait vers le bosquet central. Ses yeux d'aigle ne l'avaient pas trahie. Elle avait bien repéré quelque chose d'inhabituel.
Au centre du bosquet fleuri se trouvait un étrange cercle de champignons parfaitement espacés entre eux. Sybille sentit instantanément une attraction particulière pour ce cercle, presque comme de la magie. C'était irrésistible et viscéral. Elle avait la profonde conviction qu'en traversant la ligne de champignons, quelque chose de primordial lui serait révélé. Ou peut-être allait-elle vivre sa prochaine expédition ? La jeune aventurière ne prit pas le temps d'y réfléchir à deux fois et elle se dirigea d'un pas rapide vers le cercle. Il y eut une légère hésitation qui s'envola aussitôt. Elle se trouvait à l'intérieur. Il n'y avait plus d'échappatoire possible.
Tout à coup, comme elle l'espérait, quelque chose d'hors du commun se produisit. Un tourbillon crépitant d'étincelles colorées et de poussière luminescente l'enveloppa. Elle fut aveuglée par la lumière éblouissante du phénomène. Il prenait de l'ampleur et tournait de plus en plus vite. Tremblements. Secousses. Déflagrations. Puis calme placide. Le chaos avait fait place à la sérénité.
Qu'est-ce qui venait de se passer ? La jeune fille n'avait pas encore rouvert les yeux, beaucoup trop terrifiée. Elle était en train de rêver, ça ne pouvait pas être autre chose. Impossible. Du moins, c'était ce que la fille aux prunelles émeraudes voulait croire. Pourtant, tout cela était bel et bien réel.
Après quelques minutes, Sybille découvrit ses yeux de ses mains et se releva du sol, la respiration encore haletante. Elle ne se trouvait plus dans la forêt bucolique qu'elle connaissait. Ce lieu ne semblait même pas être terrestre. Son environnement était irréel et ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait déjà vu. Elle regarda vers le ciel. La voûte céleste était parsemée de constellations et d'astres beaucoup plus impressionnants et scintillants que les étoiles, le Soleil ou la Lune. Trois corps célestes ressemblaient à des lunes mais elles reflétaient respectivement différentes nuances de rose. L'empyrée quant à elle était d'une teinte mauve clair assez énigmatique. La jeune fille était fascinée par ce qui se dévoilait peu à peu à ses iris émeraudes.
Elle inspecta les environs des yeux avec minutie. Au premier plan, se trouvait ce qui paraissait être une clairière. Son sol de terre mauve était constellé de petites fleurs. Mais celles-ci étaient bien différentes des pâquerettes, marguerites, bleuets et autres ravissantes plantes de son monde. Au sommet de tiges bleu glacier trônaient de véritables sculptures de cristaux couleur améthyste. Autour de l'extrémité des tiges qui plongeait dans le sol, des racines phosphorescentes s'entrelaçaient et étaient reliées à toutes les autres racines de ce que la jeune fille aux cheveux miel considérait comme des fleurs. En suivant le chemin que créait les minces racines, elle se rendit compte qu'elles étaient connectées à d'autres racines bien plus massives. Celles d'arbres gigantesques qui encerclaient la clairière. Les végétaux blanc marbré étaient dotés d'un tronc très imposant et de branches si développées qu'elles formaient un réseau d'une complexité déstabilisante. Néanmoins, cela restait un spectacle absolument merveilleux pour la jeune fille. Tout en continuant à admirer la flore de ce nouveau monde qui s'offrait à elle, son attention fut attirée par un son singulier.
C'était semblable à un bourdonnement d'abeille mais en beaucoup plus menaçant. A mesure que le bruit se rapprochait, la jeune fille angoissait de plus en plus. Elle commença à chercher une échappatoire quand subitement, une créature terrifiante atterrit dans la clairière, menée par un humanoïde dont on ne pouvait pas apercevoir le visage. Sybille poussa un cri d'effroi et commença sa course de survie. Peu importe ce que c'était, ça n'avait pas une intention bienveillante, c'était certain. Malheureusement, la bête bourdonnante était douée d'une célérité bien plus avancée que Sybille et en quelques secondes, elle s'empara de la jeune fille en l'emprisonnant dans ses pattes griffues. L'obscurité totale. Sans issue.
A suivre...
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Un sujet... Une nouvelle...
ContoDans ce recueil de nouvelles, je rassemblerai tous mes textes écrits à l'occasion d'un concours d'écriture. Chaque nouvelle représentera un chapitre et j'indiquerai le thème tout au début. J'espère que mes textes vous plairont ! Passez une bonne jou...