Chapitre 21

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Un mois s'était écoulé depuis la décision de Liesel d'entrer au Bataillon d'Exploration. Les lettres de Walter étaient fréquentes et toujours apaisantes. Elle appréciait cette attention de sa part, ayant plus que jamais besoin de réconfort. La disparition de Marco lui pesait énormément, et son état d'esprit se ressentait jusque dans son corps. Son visage avait perdu en douceur, la crispation permanente de sa mâchoire lui donnait un air sévère et dur. Elle n'avait déjà pas beaucoup de joues et pourtant, son visage avait trouvé le moyen de s'amaigrir davantage, faisant saillir ses pommettes. Heureusement, elle n'avait pas encore une allure de momie, mais ce serait le cas si elle réduisait son alimentation au-delà du raisonnable.

Depuis des semaines, elle devait lutter pour sortir de son lit. Ses cauchemars la faisaient trembler chaque nuit, mais son ami y était vivant, au moins un moment. Se souvenir qu'il n'était plus là à chaque réveil lui faisait l'effet d'un coup de poing dans le ventre, à tel point qu'elle souhaitait parfois dormir jusqu'à sa mort. Mais son corps à elle tenait le coup. Les cicatrices blanchissaient lentement sur son abdomen, semblables à des veines de marbre sur sa peau diaphane. Sa musculature revenait, à force d'efforts, bien que sa ceinture abdominale ait du mal à se refermer. Elle ne s'économisait pas, refusant tout repos qu'elle n'estimait pas nécessaire. Il fallait qu'elle devienne plus forte, qu'elle soit capable de protéger les siens. Elle n'irait plus jamais annoncer à une famille la mort de leur enfant, elle se l'était juré.

En ce matin nuageux, elle sellait son cheval, un pli soucieux au coin des lèvres. La cinquante-septième expédition extra-muros débuterait sous peu. Sa première sortie au-delà du mur Rose depuis la chute de Shiganshina. C'était étrange, cette sensation que la forêt de son enfance et les terres qu'elle avait traversées pour venir jusqu'ici lui étaient devenues hostiles. Comme si l'enfant qu'elle avait été se retournait contre elle. Elle tira sur la sangle des étriers d'un coup sec pour dissiper la nausée qui montait à l'assaut de sa gorge. Ce n'était pas le moment de se laisser distraire.

« Tu vas être sympa, hein ? Ne me lâche pas, mon beau. » Murmura-t-elle à l'adresse de son cheval, flattant doucement son encolure.

Elle avait gardé l'habitude de s'adresser aux équidés. Cependant, elle veillait toujours à ce qu'il n'y ait personne dans les parages quand elle le faisait. C'était une manie un peu honteuse, qu'elle n'assumait qu'à moitié, mais qui lui était indispensable, sa manière de revenir à ce qu'elle était avant ce vaste gâchis de vies.

Elle sentait bien qu'elle partait dans la mauvaise direction. Qu'elle était en train de se replier sur elle-même, de tourner en rond entre souvenirs plus paisibles et angoisses oppressantes. C'était précisément ce dont elle avait réussi à se libérer aux côtés de Reiner, et ce qu'elle n'arrivait plus à repousser malgré sa présence. Elle savait qu'il faisait de son mieux pour l'aider, pour être là sans se montrer envahissant. Il y arrivait très bien, d'ailleurs. Et elle lui était reconnaissante, consciente que sa compagnie n'était pas des plus agréables. Mais quelque part, elle sentait que toutes ses bonnes intentions ne pourraient jamais combler le vide qui se creusait jour après jour.

Elle réalisa que sa main s'était crispée sur la sangle qu'elle était en train de resserrer et marmonna un juron, s'empressant de retirer les minuscules morceaux de cuirs venus se loger sous ses ongles. L'expédition n'avait pas commencé, et elle était déjà extrêmement tendue. Ça n'annonçait rien de bon.

En même temps, elle avait un drôle de pressentiment par rapport au plan. Quelque chose lui échappait. Pourquoi diable choisir de mettre Eren dans l'aile droite ? Ça n'avait pas de sens. À cet emplacement, il serait en bordure du système de détection, donc vulnérable. Certes, Eren était une sorte d'arme humaine, mais ne devraient-ils pas le protéger plutôt que l'exposer ainsi ? Selon elle, le raisonnement du Major ne pouvait pas ne pas avoir pris cet élément en compte. Ce qui signifiait qu'il y avait quelque chose, là-dessous, qu'elle n'avait pas mis au clair. Ou quelque chose qu'on ne voulait pas que les troupes mettent au clair. Un élément, peut être anodin, ou peut-être pas. Elle n'était pas paranoïaque, pourtant, mais là, elle s'inquiétait vraiment. Peut-être que son poste en seconde ligne de l'aile droite, qu'elle pensait sécuritaire, ne le serait en fin de compte pas tant que ça.

LunaireWhere stories live. Discover now