Une histoire de frites et d'angoisse

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Maeh prend une frite présente sur mon plateau et la trempe dans le pot de ketchup. Je le regarde la manger et il semble se régaler. Il déguste son repas et je ne dis rien, car Maeh parait plus apte à parler que moi aujourd'hui. Il est venu me chercher à mon appartement et m'a forcé à le suivre. J'étais tranquillement en train de dormir dans mon canapé, mais il m'a dit que j'étais "sur le point de fusionner avec le mobilier". Alors nous voilà, dans un fast-food qui semblait faire envie à Maeh, mais moi, je n'ai pas faim... Je n'ai plus faim.

- Aller Eden, souris un peu. Et mange une frite !

Il me met une frite de force dans la bouche. Je n'ai même pas la force de lui en vouloir et Maeh semble remarquer mon manque de réaction. Ses sourcils se froncent et il fait apparaître son doigt accusateur devant moi.

- Eden. Je me suis dit qu'il fallait que je te sorte de ta grotte, que tu prennes l'air et vois du monde. Je t'ai amené dans une chaîne de fast-food parce que je n'ai pas la possibilité de t'offrir un restaurant de luxe. Je sais que tu ne portes pas réellement d'importance à tous ça, mais pour moi ça compte. Alors souris, s'il te plaît. Ta vie ne mérite pas de s'arrêter pour lui. Je sais que ça peut être dur, mais ne te laisse pas abattre. Je vais te présenter plein de gens et tu vas voir...

Je l'interpelle d'une main sur la sienne et il relève la tête dans ma direction.

- Merci Maeh. Vraiment. Merci d'être à mes côtés, de me soutenir et de me supporter.

Il esquisse un léger sourire gêné et me fourre de nouveau une frite dans la bouche.

- Arrête ça, on va finir comme deux cons en train de chialer au restaurant. Et puis regarde toi, on dirait un squelette. Que de la peau sur les os. Je vais t'engraisser pour mieux te manger.

Il me sort un sourire carnassier et je rigole. Je rigole pour de vrai, sans ce masque que je me suis forgé depuis la disparition de Milo. Et ça me fait du bien et Maeh le voit. Alors je prends une autre frite avant qu'il ne me force en me gavant comme une oie et je l'écoute déblatérer une avalanche de mots qui n'ont ni queue ni tête. Maeh parle trop, mais j'aime le voir comme ça, je ne veux pas le voir perdre cette joie de vivre qu'il a toujours en lui, donc je cale ma tête dans ma main et l'écoute attentivement.

- Au fait, je ne t'ai pas dit, mais je me suis encore pris la tête avec Lyco. Il m'énerve tellement, je te jure. Il ne me mérite pas. J'hésite à arrêter les frais avec lui...

Je soupire. Trois. Deux. Un.

- Mais je l'aime trop. Sa bouille me fait craquer. Il est si doux avec moi, si attentionné. Rien à voir avec Clémence.

Je le questionne du regard. Clémence... C'est qui déjà ?

- Sérieusement Eden ? Mon ex-copine, mais je ne t'en veux pas, elle ne mérite pas qu'on se souvienne de son prénom. Enfin bref, elle était jalouse et possessive. J'avais besoin d'air et Lyco m'en a donné tandis que Clémence m'étouffait. Je crois que j'aime vraiment Lyco. J'en suis raide dingue même. Et puis on ne va pas se mentir, le sexe est meilleur avec Lyco... Je te jure, quand il commence à mettre-

Je lui mets un nugget de poulet dans la bouche pour le faire taire. Il pouffe et avale sa boisson pour ne pas s'étouffer. Je souris face à la tête boudeuse de mon meilleur ami. Je sais qu'il aimerait me raconter toutes ses nuits passées avec Lyco, mais je ne suis pas prêt à entendre ça. La blessure laissée par Milo est encore bien ouverte et je ne sais quand est ce qu'elle se refermera. Je sens que je suis de nouveau en train de perdre pied et Maeh le remarque.

- Ça va Eden ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ? Eh, parle moi.

- Je vais aux toilettes.

Je me lève soudainement et laisse Maeh en plan. Je me dirige rapidement au calme, dans une cabine à l'abri des regards et prends une grande inspiration. Je compte dans ma tête de un à dix comme je le fais souvent quand il m'arrive ce genre de crise d'angoisse. Milo est parti, mais il a laissé un vide en moi que je ne peux combler que par une angoisse constante qui me monte à la gorge. Mais ça ne date pas de sa disparition, cette angoisse. Depuis tout-petit, je suis sujet à cela et j'ai toujours fait en sorte de le régler moi-même, alors je n'en parle à personne. Je respire et ferme les yeux. Ma respiration, qui était jusqu'ici saccadée, se calme pour reprendre un rythme normal. Je déverrouille la porte de la cabine dans laquelle j'étais et me dirige devant les éviers. Je lève ma tête face au miroir juste devant moi. J'ai une tête de zombie, j'ai des cernes noires et immenses qui ne veulent partir malgré la dose importante de maquillage que je mets.

Je m'abaisse pour me passer de l'eau dans la nuque afin de me rafraîchir rapidement. Mes yeux doivent être gonflés à cause des larmes, mais j'en ai rien à faire. Une fois calmé, je relève ma tête pour de nouveau me regarder ce reflet immonde qui est le mien. Mais j'aurais préféré fermer les yeux et ne pas me regarder. Malheureusement, mes yeux étaient bien ouverts quand je l'ai vu sortir de la cabine, ses cheveux marron plaqués en arrière avec du gel. Il semblait différent et pourtant, il est le même que lorsqu'il a disparu. Je n'arrive pas à bouger, une larme dévalant de nouveau ma joue. Le voir me donner le vertige.

Et c'est en cette journée de fin janvier qu'il réapparaît, devant moi. Il n'a pas encore levé la tête et marche en direction des éviers. Je le regarde faire, contemplant l'être que je croyais disparu pour toujours et que je croyais ne jamais revoir. Je décide de ne pas rester plus longtemps dans les toilettes et vais pour ouvrir la porte, mais mon prénom résonna dans sa bouche.

- Eden ?

Je me retourne malgré moi et je croise son regard. Le mien embué de larmes et le sien surpris et inquiet. Il m'appelle par mon prénom de nouveau comme pour être sûr de qui il vient de voir. Mais je pars presque en courant de la pièce devenue bien trop étroite pour nous deux et étouffe son "attend" en fermant la porte derrière moi.

Je me précipite vers la table autour de laquelle Maeh est toujours assis.

- Faut qu'on parte.

- Comment ça ? Mais j'ai pas fini de manger moi.

Il remarque mes yeux affolés et ne comprend pas un seul mot que j'essaie de lui dire. Mes mots n'ont plus aucun sens quand je tente de les sortir de ma bouche.

- Calme toi Eden. Qu'est-ce qu'il y a ?

Je n'arrive à sortir qu'un seul mot. Le seul mot que ma voix ne transforme pas en un cri enroué par les pleurs.

- Milo.

- Quoi Milo ? Calme toi Eden et respire, je ne comprends pas ce que tu essaies de me dire. Je t'assure que je vais te protéger de ce connard. Ne t'inquiète pas. De toute façon, si je le croise, je le fume !

Puis c'est avec mon regard qu'il comprend enfin ce qu'il se passe.

- Oh putain ! Il est là ? Pourquoi tu ne me l'as pas dit plus tôt ! Je vais le défoncer, il est où ?

Je le tire par le bras et l'emmène à l'extérieur du fast-food. Je sais qu'il est capable de lui refaire le portrait en plein milieu du restaurant alors je le retiens d'y retourner. Puis il semble se calmer lorsqu'il voit mon regard apeuré. Il me prend dans ses bras et me chuchote à l'oreille.

- On rentre ?

Je hoche la tête, n'ayant pas la force de sortir un son de ma gorge. Je cale ma tête sur son épaule tout en marchant en direction de la voiture garée sur le parking. Mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon pantalon et je le prends dans ma main. Je m'arrête en plein milieu du chemin faisant s'arrêter Maeh pour m'attendre et je lis le message qui vient de m'être envoyé.

Je plaque ma main sur ma bouche comme pour retenir le cri plein de sanglot qui menace de s'échapper. Mes jambes ne me supportent plus, ne supportent plus le poids de mon cœur et je tombe à genoux, tremblant. Maeh accourt vers moi pour me prendre dans ses bras, mais je ne cesse de trembler sans pour autant crier ma rage. Une boule dans ma gorge se forme et je mets ma tête dans le cou de Maeh qui s'était mit à mon niveau, sur le sol du parking. Je lâche mon téléphone et le laisse glisser parterre. Je me sens vide et nauséeux, dans les bras de mon meilleur ami, en regardant mon téléphone encore ouvert où ses quelques mots sont inscrits :

Message du 0651XXXXXX; aujourd'hui à 17h53 :

"Eden, c'est Milo. Faut qu'on parle. Je t'aime."

LE PARFUM DES COEURSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant