1 - Cauchemar

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Musique du chapitre : "How to save a life" - The Fray

Une année plus tard

Mon corps est propulsé vers l'avant, encore baigné de ma propre sueur. Un long soupir s'échappe d'entre mes lèvres tremblantes.

Une semaine sans cauchemars.

Je commençais à être convaincue que c'en était fini de toutes ces conneries. À peine le temps de m'y habituer que mon inconscient me replonge déjà dans la noirceur de mon cœur. La sensation des gouttes qui roulent le long de ma nuque me répugne. Je hais ces nuits qui ne me laissent aucun répit.

Je jette un œil sur l'écran de mon téléphone, il m'indique qu'il me reste une heure et demie pour émerger. Enfin ! 

Nous y voilà.

Une décharge électrique s'empare de tout mon corps. J'ai attendu ce jour depuis des mois. Je me barre enfin de ce foutu sud.

Du pouce, je lance une playlist au hasard. Le parquet craque sous mon poids alors que je traverse la chambre pour me réfugier sous la douche.

L'eau chaude coule abruptement, extirpant très loin toutes traces de la nuit passée. Détendue, la voix d'Isaac Slade en arrière-plan sur « How to save a life » m'emporte ailleurs.

Quelques flashs de mon mauvais rêve m'assaillent :

J'entame une course effrénée, suppliant mes jambes de ne pas se dérober sous moi. Le souffle court, les foulées se veulent de plus en plus rapides. Un cri retentit au loin, je ne m'arrête pas. Il fait sombre, je me trouve sur une route interminable. Tremblante, la gorge sèche, mon sang se glace. La poitrine oppressée, j'accélère le pas. L'obscurité, rendue menaçante par les sapins qui se tiennent de part et d'autre du chemin sinueux, me procure un sentiment effroyable. Le son des cailloux qui s'écrasent sous mes pieds se joint à une respiration lourde.

— Laissez-moi ! Hurlè-je.

Je m'enfuis de toutes mes forces, poussée par une vague d'adrénaline. La forêt ne s'éloigne pas. Elle est sinistre.

Mon corps est tout à coup emporté vers l'arrière. Une force dont j'ignore l'origine, m'arrache du bitume. Des mains sales, noires de terre me maintiennent. Elles m'étranglent, je cesse ma lutte. Incapable de me débattre, je reste pantelante. Paralysée, je hurle. Des pleurs inondent mon visage pétrifié. Les yeux vers le ciel, je supplie le monde entier. Le sol m'accueille dangereusement, tout s'envole...

Quelques larmes roulent sur mes joues lorsque j'entends ma mère frapper à la porte :

— Nous prenons la route d'ici une heure Meth !

Je ne réponds pas, encore trop accaparée par les angoisses incessantes. Je sais qu'elle cache ses émotions également. Nous ne sommes pas habituées à extérioriser ; c'est très bien comme cela. Je ne suis pas douée pour les effusions, tout ce bordel.

Lorsque je lui ai annoncé que je souhaitais quitter la France pour partir à Londres, elle ne s'y est pas opposée. J'ai décelé dans son regard une pointe de tristesse, mais elle n'a pas tenté de m'en dissuader, consciente que ce départ était nécessaire. Elle a acquiescé et a continué de couper ses oignons, sur le plan de travail abîmé, de notre petite cuisine provençale.

De la pulpe des doigts, je me masse le cuir chevelu avec un shampooing à la noix de coco et savonne ma peau mâte. Je m'attarde sur le dessin encré sur le bras droit ; une forêt surplombée d'une pleine lune. C'était l'année dernière, Skyler avait passé six heures à retracer ce que j'avais couché sur papier.

Tous les tatouages qui parsèment mes membres ne constituent que le fruit de mon imagination. Une pendule mécanique sur la jambe droite... Je l'avais intitulée le temps qui passe ». Sur le moment, cela me paraissait une bonne idée, mais avec du recul, je me souviens que je suis plus douée pour dessiner que pour les mots. Je pense que c'est le problème de chaque artiste. La nuit étoilée pour Van Gogh, Le cri d'Edvard Munch, Le Déjeuner sur l'herbe de Manet... Tous ces intitulés ne reflètent que de pâles descriptions de ces célèbres tableaux.

J'enfile les vêtements posés la veille sur mon bureau vintage. Mon sweat à capuche ira très bien avec mes Van's. Après un rapide passage devant le miroir, je conclus que Londres devra cohabiter avec mes cernes de deux kilomètres.

Valise en main, je jette un dernier coup d'œil à la petite chambre que je quitte. La gorge nouée, je ferme délicatement la porte.

— Bonjour M'man.

Elle boit son café en regardant vaguement l'extérieur. Son chignon en bataille laisse tomber quelques mèches brunes sur sa nuque. Elle porte son vieux pull en laine, abimé par le temps. Celui sur lequel j'ai versé mes plus grosses larmes dans ma tendre enfance. Elle ne bouge pas d'un poil lorsque je traverse la  cuisine. Sont-ce les fleurs fanées qui l'interpellent ou est-elle perdue dans ses pensées ? Elle se retourne brusquement lorsque mon bagage claque sur le carrelage.

— Nous allons bientôt démarrer, j'espère que tu n'as rien oublié.

— Sauf si Rufus est autorisé à embarquer, j'imagine que je n'ai rien omis, répondis-je entre deux bouchées de pancake aux myrtilles.

Rufus, c'est mon poisson rouge. Si l'on en croit la légende, c'est le poisson le plus vieux qui puisse exister. Je me souviens avoir pleuré alors qu'il stagnait à la surface quand j'avais cinq ans. Maman m'a affirmé qu'il se prélassait au soleil et qu'il regagnerait la forme à mon retour de l'école. Avec du recul, je me demande encore comment une maman peut avoir autant d'imagination pour berner son enfant.

— Allez, nous allons prendre du retard, souffle-t-elle d'une voix enrouée.

Je traverse les pavés abîmés de la devanture, ignorant par quel miracle je suis parvenue à ne pas me casser une cheville durant toutes ces années. Je longe le tas de plantes qui n'a pas survécu à l'été. Le feuillage craque sur mon passage. L'odeur familière de la vieille Jeep emplit mes narines.

Le cadran central affiche neuf heures et demie et le soleil commence déjà à pointer le bout de son nez, en plein mois d'octobre. Forcée de mettre mes lunettes à verres fumés, je crie au scandale :

— Voilà pourquoi Londres demeure le meilleur choix !

Ma mère démarre, son sourire s'étend légèrement sur son visage.

— Les températures n'y sont jamais, ou presque, extrêmes à cette période. On parle même de « froid Londonien » l'hiver.

— Te rends-tu compte que tu ne pars pas au Pôle Nord ? s'exclame-t-elle en bifurquant à droite.

— Oui. Mais la chaleur étouffante du sud de la France me tape sur le système. Je n'en peux plus de griller comme une merguez sur un barbecue.

Elle hausse les épaules. Maman adore se dorer la pilule.

Les maisons colorées défilent à mesure que approchons du point de chute. Après avoir texté Skyler, je relève mes dernières notifications. Mon doigt verni défile l'actualité des réseaux sociaux. Un souvenir qu'elle a partagé retient mon attention ; une photo où il nous enlace... Un frisson d'effroi me parcourt l'échine, mes yeux s'embrument. Je verrouille immédiatement mon écran.

Je dois partir d'ici le plus rapidement possible.

***

Coucou tout le monde !

Que pensez-vous de ce premier chapitre ?

Il vous donne envie d'en savoir plus ? 🙃

AMETHYS LAYNE - TOME 1 (PUBLIÉ EN AUTO-ÉDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant