Vulka

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Il faisait nuit, et le lac de magma orange, en se reflétant sur l'immensité bleue du ciel, jetait ses flammes sur la mer.

Waia longeait régulièrement la rive abrupte qui serpentait entre ces deux étendues irréconciliables, et ne s'arrêtait jamais pour contempler le drapé lent des vagues. Elle avançait au contraire d'un pas sûr au travers des vapeurs épaisses qui s'extirpaient en sifflant de l'eau touchée par les laves, en mur de fumerolles changeantes qui pleuvait vers le ciel.

Tomber dans l'océan glacé impliquait une mort certaine.

Elle s'aventura dans la touffeur vibrante de l'air, amorçant sa marche quotidienne sur la sente humide entre le lac lumineux d'un côté et de l'autre, l'infinitude glaciale de la mer. La peau lisse de son pied parfait heurtait délicatement le sol, produisant un clapotis que le bouillonnement des chutes de lave noyait dans le reflux des vagues.

L'air fraichissait à l'approche des flots, ralentissant les mouvements de la vulka. Au-dessus d'elle, le manteau des nuages s'écarta momentanément, laissant paraître l'univers froid, piqueté d'étincelles blanches, dans lequel évoluait l'ombre des seize lunes.

Le ballet silencieux et immuable de ces planètes, si proches mais si lointaines, plongeait parfois Waia dans une stupeur émerveillée. Ce jour-là, elle les ignora pour se concentrer sur le chemin à emprunter.

Personne n'aimait longer la côte, mais elle n'avait pas trouvé de meilleur trajet vers l'anfractuosité rocheuse où elle se rendait. Au plus bas, la mer léchait le sentier, renouvelant sans cesse une pellicule d'eau froide qui la faisait grimacer. La vulka devait anticiper le flux des vagues pour esquiver les éclaboussures.

Le chemin côtoyait une falaise de drapés noirs, d'où s'écoulaient en filets visqueux des cascades orange. L'eau, à cet endroit, bouillonnait furieusement, et Waia craignait moins sa morsure, allant jusqu'à tremper le pied pour avancer. Elle évitait cependant les cataractes ardentes, se contentant de baigner dans la chaleur de leurs fumerolles.

Enfin, elle gagna le repli minéral qui lui permettait de remonter l'escarpement en s'appuyant sur les lignes sinueuses de la montagne. Elle se hissa lentement jusqu'au sommet, puis se dirigea vers la mare aux reflets pourpres qui croupissait à quelques pas de là.

Le liquide semblait presque immobile, et rougeoyait entre les craquelures de la croûte sombre qui stagnait à la surface. Waia avait laissé un bâton de pierre à côté du puits de lave, qu'elle utilisa pour repousser délicatement cette peau sur les bords. Elle remua ensuite le liquide pour en évaluer l'homogénéité et pour lisser son outil, car elle n'aimait pas que le magma s'y solidifie aléatoirement. Une fois le bâton présentable, elle le mit de côté et s'agenouilla au bord du bassin orange.

Ses pieds avaient durci au contact de l'eau ; elle les plongea en premier dans la mare de lave, avant de s'y glisser toute entière.

Elle appréciait ce bassin tranquille où elle avait la possibilité de s'immerger complètement. Le magma s'étirait autour d'elle en caresses paresseuses, réchauffant lentement son corps presque raide. Les yeux ouverts, elle ne voyait qu'un défilement de tourbillons clairs.

La chaleur la gagnait progressivement, amollissant d'abord sa peau puis la strate intérieure ; mais Waia ne permit pas au processus de rallier le cœur de son être. Elle se hissa hors du puits magmatique pour se tenir debout, ses membres inclinés de manière à laisser l'excédent de matière glisser jusqu'au sol.

L'air était plus frais en haut de la falaise qu'à l'intérieur des terres, mais il permettait à la pellicule de lave de se solidifier assez vite pour donner à Waia un aspect lisse qu'elle avait mis longtemps à maîtriser. Ensuite, elle redéfinit ses mains jusqu'à ce qu'elles retrouvent une apparence gracieuse et élancée. Puis elle s'examina attentivement et, du bout des doigts, s'attela à remodeler les parties de son corps que la lave avait déformées. Avec l'habitude, elle avait appris à dessiner le galbe de ses jambes et de ses reins en quelques caresses appuyées, mais elle devait toujours s'attarder davantage sur ses pieds, que sa position statique écrasait au sol. Elle devait attendre que le magma refroidisse suffisamment pour que la plante de ses pieds conserve sa forme malgré sa station debout, une technique qu'elle était la seule à pratiquer. D'autant plus qu'elle se devait de l'exercer sans s'asseoir, afin de ne pas abimer son fondement nouvellement modelé.

Vulka [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant