Fantôme du Passé

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Défi Pièces de Huit n°1, Thème : Fantôme du passé.

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Il fait nuit... La lune est absente ce soir. Et comme chaque soir, je m'étais couché, heureux de ma journée. Et comme chaque nuit depuis longtemps, je me suis réveillé en sursaut, me redressant brusquement sur mon lit.

Comme chaque nuit, je suis en sueur, la gorge nouée et des larmes plein les yeux. Le souffle court, je porte ma main à mon cœur. Comme chaque nuit depuis le drame, je me réveille en hurlant, ton prénom sur mes lèvres et ton rire résonnant à mes oreilles.

Je n'en peux plus. Je voudrais tellement oublier, tirer un trait sur le passé, avancer malgré tout. Mais je ne peux pas. Je ne suis pas aussi fort que ce que je prétends tu sais. La tête me tourne et je tente de réprimer la bile qui me monte aux lèvres.

Vain effort. Comme toujours, je quitte brusquement la chaleur de mes draps pour me précipiter à la salle de bain, une main sur la bouche. Agenouillé devant la cuvette en fer blanc, je rends tout ce que j'ai avalé le repas précédent.

Ma gorge me fais mal, je n'ai plus rien à rendre depuis un moment, mais je continu de vomir. La bile me brûle la gorge, le nez, la bouche, aussi douloureuse que la culpabilité qui me brûle la peau. Combien de temps depuis que les cauchemars ont commencé ? Un mois, un an, un siècle ?

Je ne sais plus. Et la douleur de mon corps fait écho à celle de mon âme. Parmi mes nakamas, personne n'est au courant. Ils savent que je souffre de t'avoir perdu, bien sûr. Mais pas que j'en suis au point d'en faire des cauchemars chaque nuit.

Ils ne savent pas et je ne veux pas qu'ils sachent. Est-ce qu'ils pourraient seulement comprendre ? Je ne sais pas. Et je refuse qu'ils me voient ainsi. Alors je souris, même si tout est faux. Même si tout autour me rappelle que tu n'es plus là, je ris, je fais semblant de rien.

Mais chaque nuit, lorsque je suis seul dans ma cabine, je me permets de me laisser aller. Et les larmes coulent, sans que je ne fasse rien pour les empêcher. Parfois même je me laisse aller à hurler ma rage et ma culpabilité.

L'avantage d'avoir une cabine pour soi, complètement insonorisée. C'est fini, je n'ai même plus de bile à vomir. Chancelant, je me redresse, avant d'aller me passer de l'eau sur le visage. Mais même cette eau bienfaitrice ne peux rien pour celui qui se sent sale à l'intérieur.

Je lève les yeux vers le miroir et contemple mon reflet. Les traits tirés, le visage pâle, des cernes noires sous les yeux. Ha, il est beau l'homme libre que soit disant rien n'atteint, l'acteur de la nouvelle ère.

Tu parles ! Juste un gamin, un homme désespéré qui espère tromper son monde avec de faux sourires. J'excelle dans ça maintenant, les faux sourires. Et parfois, pour tuer cette saleté qui me ronge, je bois. Je bois pour oublier, pour noyer cette culpabilité.

Et ça fonctionne. Le temps d'une soirée, j'oublie tout. Pour une nuit, je dors sans cauchemar, trop ivre pour penser. Mais ça ne dure jamais qu'un temps. Et le lendemain, je souffre, parce que quoi que je fasse, le vide est toujours là.

Brusquement, alors que je contemple mon reflet, la colère me prend. Furieux, ma main se crispe sur le marbre blanc, alors que mon autre main rencontre le miroir. La douleur fuse, remplaçant un instant la culpabilité.

Ça aussi j'ai essayé. Faire souffrir le corps pour oublier la douleur de l'âme. Mais j'ai vite arrêté. Parce si j'ai oublié un temps, la douleur n'avait pas empêché les cauchemars de revenir.

Et surtout, le lendemain, quand j'avais contemplé les restes de ma lâcheté, cette fois, plus que la culpabilité, c'est la honte qui m'avait serré la gorge. Parce que tu n'aurais pas voulu ça. Parce que tu aurais été fou de rage en l'apprenant.

Si tu m'observe de là-haut, sache que suis désolé. Mais être désolé ne suffira pas cette fois. Parce que nous ne sommes plus des enfants. Parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas changer. Et qu'il faut apprendre à vivre avec.

Je relève les yeux sur le miroir brisé et un frison me prend. Parce que ce n'est plus mon reflet que je vois. C'est le tien. Et tu m'observe, le regard blessé, avant de me chuchoter que tout est de ma faute. Que j'aurais dû être là, comme on se l'était promis.

Je sais que ce n'est pas vraiment toi. Je sais que c'est simplement la fatigue qui me joue des tours. Mais la culpabilité me prend à nouveau. Parce que je sais qu'au fond, c'est la vérité. J'aurais dû être à tes côtés.

Je quitte la salle de bain à toute vitesse, en larmes, pour me jeter sur mon lit. Je tourne la tête vers la fenêtre. Le ciel est noir, aussi noir que mes regrets. Je baisse les yeux sur ma couverture. Rouge. Rouge comme le sang qui a coulé ce jour-là. Rouge comme la souffrance qui déchire mon être à chaque instant.

Rouge comme le sang qui couvre mes mains. Je contemple mon bras sur la couverture. Blanc sur rouge. Rouge sur blanc. Comme l'a été le sang sur ton corps ce jour maudit où tu m'as été arraché.

Je tremble. J'étouffe. A l'image de la culpabilité qui me serre la gorge, j'ai l'impression que les murs de ma cabine se referment sur moi. Il faut que je sorte. Tout de suite. Sans même prendre le temps d'enfiler un haut, je me précipite sur le pont.

La noirceur m'enveloppe et j'imagine ce que tu as ressenti lorsque la grande noirceur est venue te prendre. As-tu eu peur ? Te connaissant, j'en doute. As-tu regretté ? Peut-être, peut-être pas. As-tu eu le temps de te rendre compte que tu mourrais ? As-tu souffert ?

J'espère que non, mais au fond, je sais que je me mens à moi-même. Le vent frais me calme. Je me surprends même à frissonner, moi qui n'ai jamais froid d'ordinaire. Et toi ? Peux-tu encore avoir froid ? Comment est-ce là-haut ?

Bon nombre de questions auxquelles je n'aurais jamais de réponse. Je finis par rentrer, je n'ai pas envie qu'on me voit ainsi. Arrivé à mes quartiers, je m'étends sur mon lit. Une main sous l'oreiller, je ressors un vieux papier. Froissé à force d'avoir été consulté. Abimé, mais inestimable.

Je le serre contre mon cœur et je laisse à nouveau les larmes couler. Moi qui m'étais promis de ne plus jamais pleurer. Je revois ton sourire, tes yeux qui brillaient. Je me rappelle de ton rire, de ta peau près de la mienne toutes les fois où l'on s'est endormi l'un contre l'autre.

Recroquevillé sous ma couverture, je pleure encore. J'évacue un peu de cette culpabilité, de cette douleur qui me ronge sans répit. Demain il faudra se lever, trouver la force de sourire encore, pour laisser tomber le masque a la nuit tombée.

Tu me manque.

Chaque jour un peu plus.

Parce que je suis vivant et que tu n'es plus là. Parce tu es mort et je n'étais pas là. Je suis désolé, mon frère.

Je te promets de continuer, pour tenir notre promesse. J'avancerai, sans jamais oublier ma culpabilité. Parce que malgré toutes mes suppliques, rien ne pourra changer.

Tu es et tu resteras un fantôme du passé.

Recueil de Pièces de HuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant